L’orpaillage

On le sait, notre région (Wallonie) a été parcourue par des orpailleurs depuis l’époque des Celtes (la mine d’or du Crô des Massotais à la Baraque de Fraiture, l’or de Hourt et de Bastogne…). Qu’est devenu cet or trouvé dans le lit du Glain, de la Rougerie ou de Salm? Comment travaillaient ces chercheurs d’Or? Pourquoi y a-t-il de l’or dans nos rivières? Y en a-t-il encore et en quelle quantité?

L’or des rivières provient de l’altération et de la désagrégation d’anciens filons au sein desquels ce métal se trouvait sous forme de trace. Les rivières, les ruisseaux transportent les paillettes d’or, parfois des pépites, des sables et graviers en aval. L’exploitation de ces paillettes et de ces pépites consiste à laver les alluvions. Considérant que l’or est plus dense que les autres éléments présents, le lavage permet de l’isoler des autres éléments moins intéressants. Peut être la batée (cuvette qui permet de séparer les paillettes d’or du sable) était-elle déjà utilisée à l’époque des Celtes? Cet ustensile permet d’exercer manuellement une force centrifuge sur des sables aurifères mélangés à l’eau. Les particules légères (sables, graviers…) sont évacués en périphérie, alors que l’or plus dense, reste au milieu de la batée.

Au cours du XIXème siècle, des milliers de tertres jalonnaient les rives des maints ruisseaux de la haute Amblève (les Sègnes), sans que personne ne puisse expliquer clairement leur origine mystérieuse, le long des cours d’eau, de Waimes à St-Vith. Sur les lieux, on trouva un fer à cheval exigu, d’époque celtique, et qui autorisait le rapprochement avec les innombrables tas de déblais: les Celtes étaient les auteurs vraisemblables de l’orpaillage colossal du bassin de la haute Amblève, car les tertres s’avéraient être des Haldes (les « Hugelchen ») qui s’intégraient à ce point dans le paysage, depuis la nuit des temps. Puis un certain Julius Jung, de passage à Montenau, avait discerné epuis 1875 la nature de ces tertres insolites, amassés le long des berges de l’Amblève et de ses vifs tributaires qui devaient en contrebas du Wolfbusch. Gardant le secret de sa découverte à son profit personnel, « l’homme du terrain » ,n’avait eu qu’à se servir de sa batée pour prouver prosaïquement qu’il y avait de l’or en Ardenne-Eifel… Le sous-sol « métamorphique » de la région de Vielsalm, alors frontalière, semblait avoir livré tous ses secrets…mais encore éveillé aussi l’étonnement des naturalistes qui comprenaient enfin la réelle signification de ces élévations artificielles le long des cours d’eau: « le filon d’or venant des environs de St-Vith se prolongerait au-delà de Poteau en territoire belge »… Des millions de tonnes de gravier ont changé la face de nos vallées sur une étendue de cent cinquante kilomètres carrés…qui remontaient aux temps les plus reculés et attribués aux Gallo-Belges, aux Celtes… »Les monticules eux-mêmes acquièrent l’importance de monuments archéologiques et méritent le respect à l’égal des tumulus de l’Antiquité » (abbé Bastin). Petit à petit, on vérifia que les collections de haldes ne se limitaient pas à la haute Amblève, mais se rencontraient entre Faymonville et la Baraque de Fraiture. Si l’on pointe sur une carte de l’Ardenne septentrionale les sites, haldes et trouvailles d’or mentionnés depuis le début du siècle, on remarque combien l’ensemble de trois zones aurifères affecte la forme d’une bande étroite qui s’étend du nord-est au sud-ouest. Des environs du lac de Butgenbach, elle passe par la Warchenne, la haute Amblève et la haute Salm, pour se prolonger jusqu’à la Réserve naturelle domaniale du plateau des Tailles. L’exploitation globale de cette « étendue de cent cinquante kilomètres carrés » fut sans doute l’oeuvre d’une colonie celtique dite « orientale », dont les vestiges (places fortes, tombelles, meules d’arkose), montrèrent que cette zone d’habitat était contemporaine des exploitations aurifères proches. Cette occupation remonte à l’époque de la Tène. La situation d’une autre colonie celtique dite « occidentale » (Neufchâteau) autorise un rapprochement semblable: zone d’habitat et haldes avoisinantes. N’oublions pas non plus les massifs du Serpont…

Après la disparition des Celtes, l’Arduenna Antiqua, prise dans son sens le plus large, connut le partage entre les Gallo-Belges. Ces derniers formaient l’arrière-garde de la nation gauloise, attardée en Germanie et qui achevait le vaste mouvement humain parti d’au-delà du Rhin. Trois tribus dominantes se réservèrent des parts du territoire ardennais où existaient les ressources métallifères. Les Trévires, Nerviens et Eburons réexploitèrent les aurières, d’autant qu’ils détenaient le privilège de battre monnaie, en l’occurrence des statères d’or frappés de leurs marques distinctives. En effet, la présence des haldes ne se limite pas à la zone qui joint les sommets ardennais et qui correspond à la frontière sud de l’antique Eburonie. Des tertres d’orpaillage existent en haute Lomme et à Suxy au sude de Neufchâteau, en ex-territoire trévire, mais naguère aussi aux confins ouest de la Nervie, le long de l’Oise et de la Wartoise. Dès lors, comment expliquer ces diverses venues d’or en certains endroits précis du massif ardennais, si ce n’est par la géologie. Combien l’or de l’Ardenne était devenu une réalité, l’orpaillage sur les rives de la Warchenne à Faymonville, en passant par Stavelot, les Tailles…Mais les résultats des analyses palynologiques, les découvertes récentes de trésors enfouis à la hâte, permettent d’imaginer que les Romains ne profitèrent pas de l’or exploité par les Gallo-Belges ardennais…Nos ancêtres auraient-ils remué des millions de tonnes d’alluvions pendant des siècles, pour n’obtenir que des paillettes et quelques pépites? Non, la nature aurifère de l’Ardenne est un fait plus réel que mythique et les Romains ne sont pas venus jusqu’ici, conquérir pour rien…Mais on n’est pas encore certain des datations

L’orpaillage dans le lit des cours d’eau aurifères ne laisse pas de trace, mais c’est la manière la plus immédiate de se procurer de l’or et l’on peut supposer que les rivières des Pyrénées (Ariège, Salat), et des Cévennes (Gardon), celles de Bretagne et le Tarn « aux sables d’or » ont été exploitées de la sorte tout au long des périodes considérées. Entre autres rivières on suggère, pour le Rhône et ses affluents cévenols et pour le Rhin. Par ailleurs, l’orpaillage est historiquement attesté sur le Rhin, en aval de son confluent avec les rivières qui descendent des Alpes suisses ainsi qu’entre Bâle et Mayence. Dans les Pyrénées Occidentales, on trouve des mines d’or, en roche, chez les Tarbelli. Il en est de même près de Cambo-les-Bains. La découverte des mines gauloises du Limousin est l’événement de ces dernières années; ces mines en roche sont remarquables par leur cohérence, la durée de leur exploitation (Vème au Ier siècles av.-J.C.) et la maîtrise technique tant des mineurs que des métallurgistes. On en compte plus de mille, concentrées dans quatre départements français (Dordogne, Haute-Vienne, Corrèze, Creuse; trois d’entre elles, sont particulièrement bien connues: Cros Gallet (La Tène ancienne et moyenne), La Fagassière et les Fouilloux (La Tène moyenne et finale). Dans cette même région, ont aussi été repérés des travaux en alluvion, imprécisément datés. Enfin en Bretagne, le filon aurifère des Miaules a sans doute été exploité dans l’Antiquité, mais sans qu’on puisse dire à quelle époque précisément. D’une façon globale, le lien entre le monnayage en or des peuples d’Armorique -et plus globalement de la Gaule – et le métal éventuellement produit par l’exploitation des filons aurifères régionaux, n’est toujours pas élucidé.

Avec l’occupation romaine, les mines du Limousin sont brusquement stoppées. Néanmoins, dans les Mauges (La Bellière, Maine-et-Loire) et dans la Sarthe, de petites mines en roche semblent avoir été exploitées à l’époque gallo-romaine de même que dans l’Ariège au IIIème-IVème siècles ap.-J.C. D’autres travaux anciens, entre autres en Auvergne (par exemple à La Bessette) et évidemment dans notre Ardenne Belge (encore mal datés).

Avant la conquête, les ressources en or de la Gaule semblent avoir été intensément exploitées. Sous la domination romaine, on, perçoit un certain ralentissement de l’activité. Le rôle de la Gaule pour la production d’or au cours de l’Age du Fer paraît avoir été réellement important. Curieusement, dans le monde romain, la Gaule semble perdre ce rôle.