
Les spécialistes de cette période de La Tène moyenne et finale se plaisent à marquer le haut niveau de technicité et d’organisation qu’il atteint, en particulier dans les domaines qui sont le mieux connus actuellement: les mines d’or et la production de fer. Entre les VIème-Vème et Ier siècles av. notre ère, les Lémovices (Limousin) se sont attachés à maintenir et à faire évoluer des techniques minières remarquables et d’une grande technicité pour l’époque. L’image donnée par les ateliers de la Sarthe (La Bazoge) est celle d’une production de fer très organisée…L’intensification de la production de fer et l’organisation de cette activité laissent entendre, dans le secteur du Mans, une réelle gestion et probablement un contrôle de ce travail, sans parler des « techniques de réduction sophistiquées » apparues dans les « bas fourneaux de grandes dimensions (type II) » aux Clérimois à La Tène finale. Mais est-ce que cet art des mines gaulois s’est maintenu à l’époque romaine et si, plus généralement, on en retrouve des aspects dans l’art des mines romain?
La mine de cuivre de Rudna Glava (Serbie), datée du tout début du IVème millénaire, est devenue la mine métallique la plus ancienne du monde, bien plus ancienne que celle de Vesnoveh (Iran), qui, datée de 3200 av.-J.C., occupait alors ce rang. Rudna Glava ne devait donc rien à l’Orient. La technologie mise en oeuvre dans cette mine et dans celle, contemporaine, d’Ai-Bunar (Bulgarie) était un art des mines local, qui utilisait les techniques universellement répandues des mines de silex de l’époque néolithique. Le minerai exploité était de la malachite, un oxyde de cuivre, facile à réduire sans qu’on ait à imaginer des transferts de technologie.
Cela ne signifie pourtant pas que, dans un secteur donné, l’art des mines et de la métallurgie puisse évoluer éternellement de façon autonome: au fur et à mesure du développement des civilisations, les contacts se multiplient et, tout autant que les produits, les procédés de fabrication s’échangent et se transmettent. Il existe un modèle « diffusionniste » pour expliquer l’apparition de la sidérurgie dans les diverses régions d’Europe à partir de l’Anatolie. Des procédés spécifiques, des appareils sophistiqués, inventés ici, font faire là un progrès considérable lorsqu’ils y sont transportés et adoptés. On sait l’impact que l’art des mines saxon a eu en Europe à partir du XVIème siècle. Tout au long de l’Histoire des mines, on assiste à ces emprunts technologiques qui àont toujours pour but de produire davantage et mieux…(?!).
Il existe, dans l’art des mines, un stock de techniques et de procédés qu’on peut appeler « universels », qui s’est constitué peu à peu, ici et là, au cours des âges, dans des conditions comparables de cultures et de gisements, ce qui explique par exemple que, sur tous les continents et dans des contextes néolithiques, les gîtes de silex aient été exploités de la même manière (cela fait partie de ce que l’on appelle les « Annales Akashiques »). Un puits de profondeur suffisante pour atteindre la couche renfermant les rognons et un réseau de galeries et de chambres plus ou moins étendu à la recherche des silex: Grimes Graves, Spiennes, Malaucène, etc. en sont d’excellents exemples, connus depuis longtemps. S’y sont ajoutés des sites plus récemment étudiés, par exemple Jabline (Seine-et-Marne) ou, bien loin de là,, Wadi-el-Sheikh, en Haute-Egypte. On a ainsi la preuve que ces anciens mineurs avaient quelque notion de la stratigraphie et de la distinction des couches, repérables d’abord sur les versants ou les talus, puis recherchées en profondeur par le système puits et galeries signalés plus haut. Qu’ils aient été imités par les premiers explorateurs de gîtes cuprifères n’a rien de surprenant. En effet, il faut remarquer la ressemblance entre les chantiers de Cabrières et ceux de Jabline et souligner que plusieurs mines de silex de la région (Salinelles dans le Gard, Mur-de-Barrez en Aveyron) ont débuté au Néolithique final et sont donc, peu ou prou, contemporaines des premières mines de cuivre du secteur. Aux mines de silex, on joindra aussi celles de Gava (Barcelone, Espagne) exploitées au Néolithique pour la variscite, un minéral utilisé pour fabriquer des perles et pour l’ocre. Or, dans ces galeries, circuleront plusieurs siècles plus tard les mineurs ibériques en quête de fer: ici encore les mines préhistoriques ont pu servir d’exemple direct. Et si, comme on a pu le penser les gisements d’or du Limousin ont été exploités dès le Bronze moyen puis au Bronze final, les travaux de l’Age du Fer n’ont pu que s’inspirer de la tradition minière née à ces périodes. Les mines de sel de Hallstatt, en Autriche, constituent pour les Alpes un autre jalon chronologique. On voit donc comment, du Néolithique au Chalcolithique, puis au cours des époques qui ont suivi, s’est constitué un véritable savoir faire, qui s’est enrichi au fur et à mesure des nouvelles situations auxquelles les mineurs ont dû faire face. Outre l’accès aux mines, ce savoir-faire de base concernait plusieurs domaines: l’éclairage, l’aérage, la circulation (escaliers…), l’abattage, etc.
Il en va de même en métallurgie. Aujourd’hui, l’extraction des métaux repose sur des formules chimiques et sur des procédés bien précis. Mais comment est-on parvenu à fixer ces procédés? Curiosité, essais et tâtonnements sont clairement à la base de ces découvertes: c’est l’approche expérimentale…la méthode expérimentale… D’un point à un autre l’avancée technologique pouvait différer mais, soit de façon indépendante, soit par transfert. L’un des cas les plus flagrants est celui de l’utilisation de sulfures, en particulier des sulfures de cuivre et des sulfures polymétalliques. Longtemps on avait pensé qu’en métallurgie, le progrès était linéaire. Ainsi, on ne pouvait avoir recherché et utilisé les sulfures qu’au terme d’un long processus commençant par la maîtrise de la réduction des oxydes, de métallurgie plus simple, et se poursuivant par celle de sulfures, plus difficiles à traiter. Et cette évolution avait demandé du temps: aux métallurgies protohistoriques correspondait le traitement des oxydes, aux métallurgies postérieures, celui des sulfures. Mais voilà qu’à Cabrières (Hérault), les métallurgistes de l’Enéolithique (période de la fin du Néolithique caractérisée par l’apparition du cuivre et des monuments mégalithiques) produisent du cuivre à partir d’un sulfure complexe, la tétraédrite, bouleversant ainsi le modèle classique de l’histoire de la métallurgie. Et cela pose bien des problèmes, à commencer par le caractère autonome de cette première métallurgie du cuivre: même si on le met en avant, on hésite à penser que ce phénomène ait pu se produire de façon totalement indépendante, et l’on a invoqué pour Cabrières l’exemple, voire l’influence plus ou moins directe, des populations énéolithiques de l’arc alpin, qui du Piémont à Saint-Véran (Hautes-Alpes) maîtrisaient cette technique. Mais ne peut-on, méthode expérimentale aidant, penser à des « inventions » autonomes? Autre problème: un tel acquis l’est-il pour toujours? Quelque 3000 ans plus tard, à La Tène moyenne, dans les mines d’or du Limousin, à 300 km de Cabrières, on sait également traiter les sulfures, ici sulfures aurifères (grillage, etc.): est-ce une redécouverte? Ou bien les jalons intermédiaires ont bien existé, mais sont inconnus de nous? Dans bien des cas, comme ici, la question des transferts technologiques en métallurgie antique risque de recevoir une réponse ambiguë et souvent la seule façon d’envisager sereinement les choses est de poser les problèmes.
En Gaule donc, comme ailleurs, s’est constitué, au cours de presque quatre millénaires, du Néolithique à la fin de l’indépendance, un corpus de techniques minières que l’on peut qualifier d' »universelles » en ce sens qu’on les retrouve plus ou moins semblables un peu partout dans le monde et dans lesquels ont pu se fondre des techniques spécifiques nouvelles. Quant à l’art des mines romain, il a hérité, comme les autres, d’un savoir-faire traditionnel qui lui est venu de toutes les régions connues du monde ancien, en particulier celles qu’il a dominées, parmi lesquelles la Gaule. Pouvons-nous donc, dans cette masse de techniques minières, minéralurgiques et métallurgiques, en repérer certaines que l’on puisse, avec plus ou moins de certitude, attribuer à une tradition plus spécifiquement gauloise?