La métallurgie

Parmi les métaux utilisés dans l’Antiquité, le Fer est celui dont la métallurgie a été maîtrisée le plus tard, parce qu’elle est difficile. On attribue en général aux Celtes qui ont occupé l’Europe centrale entre le Vème et le IIIème siècles av.-J.C. un grand rôle dans la diffusion du fer vers l’ouest et le sud.

Le modèle « classique » du bas fourneau des Martyrs apparaît vers le Ier siècle av.-J.C. Il comprenait les éléments suivants: un socle de 0,90 m de hauteur et de section plus ou moins rectangulaire (0,90 x 0,60 m), construit en gros blocs de granite et pris dans une terrasse(dalle); au-dessus, une cheminée édifiée en plaquettes de schiste et de granite, haute d’environ 1,30 m à 1,40 m; au niveau de la terrasse, trois conduits de 4 à 6 cm de diamètre, ménagés dans la paroi (un à l’arrière, un de chaque côté), inclinés à 49° et dirigés vers la partie antérieure de la cuve, assuraient la ventilation du fourneau; la scorie s’écoulait par l’avant. Tous les fourneaux sont orientés à l’est. Il s’agit d’un modèle solide, au socle bien isolé, construit pour durer et fonctionner longtemps. L’utilisation de ce type de fourneau implique la destruction de la partie antérieure (ou « porte ») à la fin de chaque opération, afin d’extraire le massiau de fer obtenu. Effectivement, on n’a jamais retrouvé un fourneau complet, l’avant manque toujours. Aussi ignore-t-on comment se présentait cette partie. Aujourd’hui, à la suite de plusieurs expérimentations, nous sommes tentés de restituer, au-dessus du trou d’évacuation de la scorie, un quatrième conduit de ventilation.

Dans l’Antiquité, un tournant dans les techniques de production a été atteint lorsqu’on est passé du fourneau à scorie piégée et à utilisation unique, qui datait du Hallstatt, au fourneau à écoulement de scorie et à utilisations nombreuses. En Gaule, sur les sites des Clérimois, près de Sens (Yonne) et de La Bazoge, près du Mans (Sarthe), où l’activité sidérurgique s’étale sur plusieurs siècles, ce phénomène se produit à La Tène finale. Désormais, on adopte le bas fourneau à écoulement de scorie: aux Clérimois, un four « en dôme », creusé généralement sur la pente d’un talus, coiffé le plus souvent d’une coupole en sablier et muni de divers systèmes de ventilation (type Clérimois II); près du Mans, sur le site de L’Aunay-Truchet, un modèle au socle de forme légèrement tronconique construit en argile sableuse au fond d’une fosse d’accès, muni de cinq conduits de ventilation au niveau du sol et complété sans doute par une cheminée. Dans les deux cas, il s’agit de modèles de grand volume (0,90/1,40 m de diamètre intérieur pour le type des Clérimois; 0,70/0,80 m pour celui de L’Aunay-Truchet), dont la maîtrise suppose un savoir-faire remarquable.

Ces divers appareils de fourneaux se rapprochent à celui du fourneau classique des Martyrs. L’impression qui ressort est qu’une même technologie avec des variations locales se diffuse sur le territoire des Gaules dès La Tène finale, sans que l’on puisse aujourd’hui définir ici la part des apports d’origine celtique et romaine.

Vu l’ancienneté et la solidité de la tradition sidérurgique gauloise, ce lien est tout à fait possible. Mais il ne faut pas oublier l’existence d’autres foyers sidérurgiques en Europe occidentale (l’Ibérie, l’Italie…).

L’Ibérie? On ne saurait la négliger. On sait l’ancienneté globale des mines d’au-delà des Pyrénées. S’agissant du fer, les gîtes de la Sierra Nevada ont été exploités entre le Vème et le Ier siècles av.-J.C. et ceux de la Sierra Menera (provinces de Teruel et de Guadalajara) au IIème et au Ier siècle av.-J.C. Malheureusement, nous ignorons tout des modèles de bas fourneaux alors en usage outre Pyrénées, et notre désir de comparaison s’arrête là.

L’Italie? Un site majeur: Populania (à partir des minerais de l’île d’Elbe). On a souvent évoqué les montagnes de scories du golfe Baratti (à Fullonica)

Bref, si l’on ne tient compte que de la documentation actuellement disponible, ce serait l’hypothèse gauloise qui tiendrait la corde. Elle a pour elle de bons arguments, en particulier la vitalité de quelques centres sidérurgiques gaulois et l’existence, à La Tène finale, d’un modèle de bas fourneau à écoulement de scorie dont le type de L’Aunay-Truchet serait une illustration. Le bas fourneau « classique » des Martys pourrait être alors considéré comme le fruit de l’interpretatio romana d’un modèle gaulois analogue à celui de L’Aunay-Truchet. Mais, le fourneau de L’Aunay-Truchet n’a-t-il pas lui-même été influencé par un autre modèle, méditerranéen ou autre? La quête paraît interminable…

On voit, par ce dernier exemple, à quel point ces problèmes d’origine des techniques sont difficiles à résoudre. C’est essentiellement par manque de documentation, car il est vraisemblable qu’un jour chacune d’elles est apparue quelque part pour la première fois. Mais, quand n’en subsistent ni trace matérielle, ni enregistrement écrit, comment remonter à la première manifestation? D’où ce stock de connaissances de base dont l’origine se perd dans la nuit des temps…