De l’or en Ardenne…au rapace Jules César

Alors que l’antique et immense Ardenne (700 km de long) semblait avoir été jusque là épargnée ou redoutée par « l’univers des Celtes » en expansion, deux chefferies vinrent finalement s’installer en plein coeur de ce que nous dénommons notre Ardenne actuelle… L’antique Ardenne n’était pas la simple région géographique présente mais bien une partie de cette immense forêt hercynienne de l’Occident européen. Elle s’étendait en un couvert forestier de 740 km de long, entre le Rhin et la Meuse.

Vers 450 av.-J.C., toute la région comprise entre Crombach, Gouvy, Houffalize et Nadrin fut envahie par un groupe celtique arrivé en ligne directe de l’Hunsrück-Eifel. Cette colonie prit position le long de l’Ourthe (Urta) orientale jusqu’à la rive droite de l’Our (Ours(e)…) en passant par les bords de la Salm. A la même époque où la zone sommitale et l’axe Nadrin-Bovigny-Crombach connaissaient leur occupation, une autre vague celtique plus prestigieuse vint s’installer sur les berges de la Vierre, de la Rulles et de la Sûre jusqu’aux abords de Bastogne pour fonder une seconde chefferie contemporaine mais peut-être distincte de la précédente. La raison pour laquelle ces deux terroirs bien précis furent choisis par nos envahisseurs reste mystérieuse, mais on sait qu’en dehors de l’agriculture et l’élevage, les Celtes maîtrisaient les technologies essentielles et que leur génie se révélait dans l’exploitation des ressources minérales. Pourquoi supposer les Celtes du nord-ouest de l’Ardenne actuelle moins curieux des richesses minières de leur sol que ceux de l’est et du sud? A proximité des zones envahies, des gisements métalliques d’excellente qualité affleuraient à la surface; ils expliquent peut-être cette brusque colonisation de nos contrées qui dura plus d’un bon siècle et nous laissa ses tombelles, oppida et refuges, traces d’habitats, haldes d’orpaillage et autres « cou’d’fornîre », vieux chemins celtiques ou « crayats des Sarrasins »…Pour avoir une idée de ce que pouvaient signifier ces derniers, mentionnons l’exploitation dont fit l’objet un million de tonnes d’antiques scories récupérées à la fin du siècle avant-dernier dans l’Entre Sambre et Meuse. Leur teneur en fer pur avoisinait encore 60%. Et, à la limite de l’incroyable, les « crayats des Sarrasins » alimentèrent ainsi pendant vingt-cinq ans les hauts fourneaux du bassin de Charleroi! Le fer, mais aussi le plomb et le manganèse, n’existaient-il pas à proximité des zones choisies par les Celtes ardennais? Les datations au C-14, opérées sur d’antiques tertres d’orpaillage du plateau des Tailles, ont établi le lien existant entre la présence celtique à cette époque et les recherches aurifères qui furent entreprises dans cette région. L’absence de trouvailles actuelles d’or celtique dans les tombelles n’est pas étonnant car, à proximité des riches mines d’or, le métal précieux, dans sa totalité maximale et à cause des sanctions les plus lourdes, restait la propriété exclusive de la direction minière. Et si l’or ne se trouve plus, à notre époque, que sous la forme d’infimes paillettes que roulent encore nos ruisseaux, le phénomène est identique à tous les plus grands gisements du monde: la ruée ne dure qu’un temps limité qui conduit à l’épuisement des gîtes.

Le premier partage du territoire ardennais entre les deux chefferies celtiques exploitantes disparut après l’écroulement des zones princières dont elles dépendaient. Les princes, qui résidaient à l’est ou au au sud dans la Marne et Champagne (les Rèmes et les Trévires)), étaient le seul ciment qui maintenait le système celtique en place. Ils connurent une crise d’autorité à laquelle les inégalités sociales ne furent peut-être pas étrangères. Le centre de notre Ardenne retrouva sans doute, pour un temps, son calme et sa solitude après avoir vécu une période de La Tène I plus tardive qu’ailleurs mais aussi plus éphémère…

Vers 250 avant notre ère, un large mouvement humain parti d’au-delà du Rhin, accentua encore la pression gallo-celte qui se tassait en direction de la Seine…Tous les vides laissés par les prédécesseurs se comblèrent: la redoutable arrière-garde des Belgae « arrivait évidemment du Nord, de ces îles extrêmes du Continent, de la côte frisonne…Ils franchirent le Rhin soit vers Cologne soit vers Nimègue et durent s’avancer dans l’axe de la grande route qui conduit à Bavai. Ils étaient rangés pour ainsi dire en ordre de bataille. Le peuple des Eburons se plaçait à l’est des Nerviens en faisant place à plusieurs petites tribus comme celle des Condruzes que les Gaulois désignaient du nom collectif de Germains…Ce sont les gens de l’Ardenne belge, à l’est de la Meuse.

Les tribus qui occuperont notre Wallonie, l’Hunsrück-Eifel ou le Grand Duché actuels avaient séjourné plus longtemps que leurs prédécesseurs et congénères, au-delà du Rhin…Ces gens s’exprimaient en idiome celtique mais avec un accent différent de celui des autres Gaulois. Cet accent s’estompa au cours des siècles et des invasions ultérieures, mais ses très lointaines et infimes traces sont-elles encore repérées ou discutées par les philologues, les spécialistes de la toponymie, de la sémantique et de l’onomastique. Les antiques caractéristiques raciales eurent aussi maintes occasions de se dissiper au cours du temps mais, par crainte de verser dans les visées racistes d’entre 1940 et 1945 et de 2020 dans notre EU, il est devenu délicat d’aborder ce sujet. Un fait est certain: le brassage entre Germains et Belges, avant que ces derniers ne franchissent le Rhin, fut à ce point si intime que les deux ethnies se confondèrent en une ressemblance physique, de moeurs et de caractère. Jules César ira jusqu’à attribuer aux Belgae la qualification de « Germains » qui, dans son esprit, comportait à la fois un e nuance de mépris et de crainte à l’idée que ces barbares belliqueux étaient susceptibles de contrecarrer ses visées sur la Gaule. Pour lui, et sur foi de révélation des Rèmes gaulois, notre conquérant affirmera que « les Eburons, les Poemanes, les Condruzes, les Cérèses et les Sègnes étaient des Germains cisrhénans ». Il nous apprendra aussi que les Nerviens « s’attachaient à demeurer sur le sol de la Gaule tels qu’ils étaient sortis des contrées d’Outre-Rhin, allant même jusqu’à se refuser à protéger leurs vieillards, femmes et enfants dans des refuges de type gallo-celtiques. Le grec Strabon classe d’ailleurs les Nerviens parmi les peuples germaniques. Plus tard, Tacite rapportera que « les Nerviens et les Trévires se vantaient encore de leurs origines germaniques » longtemps après César.

L’affinité entre Belgae et Germains peut s’expliquer par une appartenance commune à la race aryenne d’Europe. Celle-ci comprenait les rameaux slave, germain et celto-gaulois. Ce dernier se subdivisait en trois familles qui, successivement, opérèrent leur migration respective vers l’Ouest à des époques différentes. D’abord, les Galls envahirent la Gaule, le nord de l’Italie, le nord ibérique et enfin le pays de Galles. Puis les Kimri(s) qui s’établirent en Bretagne. Et enfin, les Bolgs ou Belgae ou Belges s’installèrent plus tard, comme nous le voyons, dans nos contrées après s’être longtemps attardés avant de traverser le Rhin dans notre direction.

Au moment de l’arrivée des Belgae en Gaule, le puissant peuple des Eburons vint occuper les rives de la Meuse limbourgeoise pour se répandre ensuite jusqu’aux embouchures de la Meuse et de l’Escaut, près des Morins et des Ménapiens, autres Belges germanisés qui avaient participé à l’exode d’avant-garde. Le mouvement migratoire des Eburons se risqua ensuite, à partir des rives de la Meuse liégeoise, en direction du mystérieux massif ardennais qu’avaient évité les prédécesseurs. Ils y découvrirent sans doute le plus extraordinaire terrain de chasse, là où le gibier de grande taille et des espèces recherchées foisonnaient comme nulle part. Les Eburons remontèrent le cours de l’Ourthe (Urta) et de l’Amblève (le pays de l’Ours(e)) pour marquer les limites de leur territoire aux points culminants du couvert forestier: le plateau des Tailles et des Hautes Fagnes. Là devaient être les confins sud de la vaste Eburonie…Pour illustrer cette hypothèse, rappelons que le génocide et les exactions dont se rendit coupable Jules César à l’égard des Eburons, en l’année 53 av.-J.C. Toute l’Ardenne du temps fut soumise au feu et au glaive. Ambiorix, roi des Eburons, fut à un doigt d’être capturé par le chef d’un détachement de cavalerie romaine, Lucius Basilus. L’événement se passa sans doute à Colonster-Sainval, près de Tilff. Si Ambiorix parvint à s’enfuir pour ameuter les siens à travers toute l’Ardenne, le sort du roi co-régnant, le vieux Catuvolcos, fut bien moins enviable…Il parvint quand même à échapper aux pires sévices en avalant en cachette un breuvage d’if vénéneux (l’emblème des Eburons – qui signifie « ifs » est l’if). Mais n’oublions pas que les hauteurs de l’actuelle Embourg (commune voisine de Tilff) pourraient être l’endroit où se trouvait le principal oppidum des Eburons…

Si les Eburons se rendirent maîtres du nord de l’Ardenne actuelle, une prestigieuse peuplade de cavaliers et de fantassins, les Trévires, descendit le long de la rive gauche du Rhin. Au confluent de la Moselle, le mouvement d’invasion trévire, en parfait accord avec ses congénères belges, remonta les deux rives de l’affluent du Rhin en s’engageant dans le sud du Luxembourg belge actuel, après avoir occupé le Grand Duché. Derrière cette importante peuplade des Trévires suivaient des petites tribus considérées comme des « clients autonomes ». Les Sègnes prirent leurs quartiers sur le cours supérieur de l’Ourthe en retrait du plateau des Tailles, dans la région de notre Houiffalize à l’ouest des Cérèses. Les vaillants Sègnes, dont le souvenir est conservé à travers notre association, réaménagèrent les forteresses d’Alhoumont et de Brisy délaissées par leurs prédécesseurs celtes pour faire face au rapace qui viendrait du sud. Les Sègnes, les Condruses, les Paemanes, les Cérèses et les Baetases de la région de Bitburg se placèrent entre les Eburons et les Trévires comme une corolle d' »états-tampons » (comme toujours…et le cercle continue…) destinée à garantir l’alliance ancestrale entre les deux plus puissantes peuplades de l’arrière-garde des Belgae. Cette fraternité ethnique ne se démentira d’ailleurs pas quand la vindicte romaine poursuivra le roi éburon Ambiorix et le roi trévire Indutiomar, unis dans le seul recours de chercher leur salut chez les Germains au delà du Rhin.

En Ardenne, à condition de payer tribut, diverses peuplades obtinrent peu à peu quelques-uns des cantons les moins arides en se soumettant à la puissante nation des Trévires qui dominait sur les deux rives de la Moselle…Toutefois, les dernières tribus qui venaient de s’y répandre n’étaient pas considérées comme « belges » (à part entière): on les réunissait sous le nom commun de « Germains »…

Ainsi, quand bien même elle se retrouvait occupée par un groupe ethnique très uni de Celto-Gaulois germanisés, l’Ardenne devenait aussi une mosaïque tribale qui prêtera d’autant mieux le flanc aux visées du rapace César: « Divide ut imperes », diviser pour mieux régner! Malgré leur esprit commun de liberté, nos Ancêtres tenaient beaucoup à leur indépendance tribale: « Certaines tribus ont artificiellement transformé les étendues boisées en des haies d’arbres par la pratique de l’écimage (couper la cime) forçant les ramures à se développer en largeur, multipliant les ronces et les buissons. Les frontières devenaient des remparts impénétrables, même au regard…

C’est ainsi qu’il nous paraît intéressant d’imaginer les limites du territoire des Trévires, au sud de celui qu’occupaient les Sègnes, dans notre Luxembourg belge actuel. Nous en appellerons à « l’Ardenne belge-romaine »…Depuis Stenay, la frontière traversait la Chiers, passait la Semois vers Herbeumont, englobait le territoire de Neufchâteau et redescendait d’Anlier pour se diriger vers la Sûre. C’est par ce tracé que les Romains délimiteront plus tard la Province Belgique Première et qu’au Moyen-Age l’archidiocèse de Trèves se distinguera du diocèse de Liège par une ligne détaillée. Celle-ci profilerait ainsi les limites que les Trévires s’étaient réservées en Ardenne belge.

L’ensemble des Belgae qui envahirent nos contrées vers 250 av.-J.C. fut estimé entre 450.000 et 500.000 âmes. Le groupe des Eburons, Condruses, Sègnes et Paemanes fut estimé à 160.000…Les Trévires, augmentés de leurs clients non encore cités, comptaient une population d’un total équivalent de 160.000 personnes. Et les très nombreux Nerviens furent estimés à 180.000 unités… A l’échelle relative des époques, ce fut une masse humaine qui se mit en mouvement vers nos régions…Des dizaines de milliers de guerriers armés, des vieillards, un très grand nombre de femmes et d’enfants passèrent en interminables colonnes de plusieurs jours sur les voies tracées par les anciens Celtes. Les plus faibles entassés dans des chariots, des autres poussant devant eux des troupeaux de bêtes, un groupe d’arrière garde encadrant le trésor tribal, le cortège sans fin marchait vers son destin…le nôtre, le »fameux Traité de Rome »…l’U-E! Vers l’avant, un groupe de chefs sans pitié forçait le passage à travers tous les obstacles, ne visant qu’à progresser vers l’avant pour atteindre les lieux d’implantation que les éclaireurs avaient décidés…Voilà une brève mais émouvante image de la « fourmilière » humaine dont une partie décidera de faire de l’Ardenne son lieu d’élection, celui de nos Ancêtres auxquels la « Pax Romana » apporterait malheur et calamités…jusqu’à nos jours et beaucoup plus…