L’Ours(e) N° 2: les Ursidés, allons plus loin maintenant.

EMBARGOED FOR GRIZZLY PROJECT BANFF, ALBERTA.: JUNE 16, 2014 -- A young female grizzly is released after being collared and tagged with number 148 in Banff National Park on June 12, 2014. Photo by Leah Hennel/Calgary Herald (For City story by Colette Derworiz)

Les ursidés sont des animaux impressionnants à qui on a attribué un symbolisme intéressant. Vivant dans des cavernes, ils expriment l’obscurité et les ténèbres. En Grèce l’Ours(e) accompagne Artémis, divinité lunaire. Comme les grands fauves en général, les ursidés symbolisent l’inconscient chtonien. Plusieurs peuples altaïques (famille de langues turques, mongoles et toungouses) considèrent l’Ours comme leur ancêtre. Chez les Celtes, il est l’emblème de la classe guerrière mais aussi du pouvoir royal. Il est l’antithèse du Sanglier qui symbolise la première classe sacerdotale. Il a été suggéré que la déesse ursine Artio de Berne marquerait le caractère féminin de la classe guerrière. Ajoutons le fait que les Gallois appelaient cerbyd Arthur ‘char d’Arthur’ les constellations de la Grande et de la Petite Ourse. Comme les animaux étaient considérés comme des êtres sacrés, accompagnateurs et messagers des divinités, et que ces dernières – des êtres célestes – se transformèrent régulièrement en animal, il n ‘est point étonnant de retrouver cette liaison entre la faune et les constellations (Dans maintes cultures, les étoiles et les constellations ont été nommées d’après certains animaux, les symbolismes animal et stelaire se rejoignent harmonieusement dans la Voûte Céleste. Ceci est vrai aussi pour l’Egypte ancienne, la Grèce, Rome et les peuples celtiques).

Une rencontre avec un Ours sur le continent devait être une expérience extraordinaire; on trouve l’Ours dans la numismatique gauloise et nous venons de mentionner une déesse-Ourse. Malgré cela, l’Ours(e) ne joue pas un rôle prépondérant dans la religion celte insulaire. Il faut savoir, en outre, qu’il était absent du biotope irlandais, peut-être déjà depuis l’Age de Bronze. En Bretagne insulaire, l’ursidé avait disparu depuis l’époque romaine. Cependant, comme nous l’avons déjà dit, l’Ours(e) symbolise depuis les temps les plus reculés le pouvoir et la royauté. Le nom du roi Arthur par exemple pourrait être lié à celui de l’Ours (le mot brittonique arth signifie Ours; les linguistes ont reconstitué la racine artos pour le proto-celtique) et certains savants suggèrent même une connexion entre le nom d’Arthur et la constellation Arcturus, la Grande Ourse; ce serait un motif de la mythologie astrologique des Celtes; plusieurs celtisants voient en Arthur la réminiscence d’un ancien dieu-Ours. Bernard Sergent a montré que le Mercure gallo-romain/Lugus/Lugh est parfois associé à l’ursidé. L’auteur voit en outre une analogie dans la littérature galloise où Lleu succède à Math fils de Mathonwy ‘Ours fils de l’Ourson’ sur le trône de Gwynedd. Ici, il faut remarquer le parallèle éventuel avec la mythologie grecque, où la déesse Artémis pouvait se transformer en Ourse.

L’anthroponymie celtique – mais avant tout l’onomastique irlandaise – est amplement dotée du terme art, désignant l’Ours (Il est assez souvent question de l’Ours dans les textes irlandais. Il faut reconnaître, en revanche, que parmi les grands prédateurs connus dans l’Irlande ancienne, on comptait surtout le Loup. Nous reparlerons plus bas de l’absence de l’Ours en Irlande). La racine arto- se retrouve d’ailleurs dans quelques toponymes (Artobranus et Artodunum), dans quelques ethnonymes (par exemple celui des Artabres ibériques et dans quelques noms propres (Artogenos, plus tard Arthgen ‘fils de l’ours’) sur le continent. En outre, nous avons les noms de deux déesses-Ourses gauloises: Artio, que l’on retrouve à Berne, et Andarta du département de la Drôme. Son nom survivrait dans le village Le Cheylard-en-Diois.

Le terme art-, à comparer avec le nom de la déesse gauloise Artio, et qui est identique au gallois arth ‘ours’, suppose un thème proto-celtique arto-s. Cet élément a été confondu avec le nom d’Arthur, issu de la gens romaine Artoria (Il y a eu, en effet, une contamination entre le thème arto-s et le nom romain Artorius. C’est de là qu’est née la forme Arthur, nom attesté en vieux breton et en vieux gallois. D’ailleurs, les germanophones continuent à employer la forme plus correcte d’Artus). C’est pourquoi on a rendu son nom – partiellement à tort – par « ursum horribilem » par confusion avec le brittonique insulaire aruthr. On en retrouve l’équivalent vieux-breton, au pluriel, dans arotrion ‘atroces’. en effet, la forme en vieil-irlandais, art, se retrouve dans plusieurs noms propres attestés, exprimant la force de tel ou tel guerrier, ou bien sa beauté, puisque à un moment donné ce terme semble être utilisé comme synonyme de dia ‘dieu’ (il ne faut pas non plus oublier la symbolique royale qu’évoquent les ursidés). Un exemple intéressant en est le nom de famille irlandais O’hArtigan, ‘petit-fils du fils de l’ours’, dont on trouve les pendants dansz le nom gallois Arthgen et le gaulois Arto-genos ou Arti-genos. L’autre racine en vieil-irlandais désignant kl’Ours était math^matus. Cette forme est attestée dans le nom de famille MacMathghamhna ‘petit-fils d’ourson’ (Aïdan MATHGHAMHAIN…), qui apparaît au XIème siècle sous la forme Ua Mathghamhna et qui est à comparer avec le nom gaulois Matu-genos ‘Né de l’Ours’ et le théonyme brittonique Matunus (Comparer également le rôle et l’importance de l’Ours(e) chez les Celtes continentaux, supra. On a également des noms de saints continentaux contenant le terme « Ours » – cf. sainte Ursule en Rhénanie -. Birkhan (1997, 713) objecte que le véritable sens de la racine matu- était ‘bon, bien’. L’appellation mat(h), matu pourrait ainsi relever d’un tabou du nom de l’Ours, comme est souvent le cas avec l’appellation de l’Ours, cf. allemand Bär ‘ours’ dont le véritable sens est ‘le brun‘. Si Birkhan a raison ici, le sens du théonyme Matunus pourrait soit être un dieu-Ours, soit un dieu des ‘jours fastes’, cf. les termes mat(u) et anm(atu) du calendrier de Coligny. De la même façon, Matugenus ‘Né de l’Ours’ pourrait également signifier ‘Né un jour faste’ ) et sans doute le gaulois Matto(n).

On peut inclure dans cette liste d’anthroponymes et de théonymes ursins, le nom de Math fils de Mathonwy (il faut cependant savoir que volc- en gaulois est de traduction douteuse, cf. aussi gall. gwalch ‘faucon’. L’ethnonyme Volcae se traduit peut-être par ‘les peuplades’), ‘Ours fils d’Ourson’, roi mythique du Gwynedd selon la branche du Mabinogi qui porte son nom. Math mac Umoir in drui est le druide des Tuatha Dé Danann selon le Lebor Gabàla. Matgen ‘Né de l’Ours(e)’ est le corrguine ‘sorcier’ des Tuatha.

Le symbolisme royal de l’Ours est sans doute confirmé par sa position de « roi des animaux », du moins selon certaines traditions. Nous verrons infra que c’est plutôt le lion à qui revient le titre de roi des animaux dans les pays plus méridionaux. Mais n’oublions pas que le christianisme en a sacrément profité… On pourrait également mentionner le Cerf ou les animaux cornus comme candidats à la « royauté animale »: le Maître des Animaux, n’est-il pas représenté sous les traits d’un dieu cornu, portant les ramures de Cerf?

Dans ce cadre nous pensons également à la rivalité entre l’Ours et le lion. Le lion a détrôné quelque peu l’Ours comme animal royal depuis une époque relativement récente. C’est peut-être pour cette raison que l’on aperçoit parfois le double motif Ours-lion dans certains contes. Nous pensons ici en particulier au conte breton intitulé Teodor pe ar c’hastell Kouevr, ar c’hastell ar c ‘hant hag ar c’hastell aour collecté par François Luzel au XIXe siècle. On y relate comment un Corbeau mène Teodor, le protagoniste du conte, sous la terre vers un « Royaume d’en-bas » (ce Royaume d’en-bas existe bel et bien dans la littérature celtique insulaire. L’exemple le plus célèbre en est sans aucun doute l’Annwfn gallois – l’Annouin – que l’on mentionne entre autres dans les Mabinogion). Il est aidé dans son combat contre trois géants à la fois par un Ours et un lion. D’ailleurs, nous trouvons un parallèle à ce motif, qui n’est pas forcément d’origine celtique, dans le récit gallois « arthurien » d’Owein, où le héros gallois est constamment accompagné et protégé par un lion. Dans la TBC (tradition brittonique celtique) on trouve des traces de cette rivalité entre le lion et l’Ours, deux animaux absents du biotope irlandais: en décrivant les déformations guerrières de Cù Chulainn, le scribe compare le héros par excellence au ‘bruit du lion parmi des ours’.

La grande férocité de l’Ours a fait que l’acte de tuer cet animal lors d’une expédition de chasse valorisait le chasseur (guerrier) en question. Les mythes et institutions des peuples indo-européens attestent l’existence d’une épreuve cynégétique en tant qu’initiation des jeunes hommes. En fait, dans la société celtique, la formation du jeune homme – pour devenir adulte et donc membre à part entière de la société – s’achevait souvent par une initiation de type cynégétique: il fallait tuer un animal sauvage comme un Sanglier, un Ours, un Loup ou encore un Cerf.

S’il est question de l’Ours dans les textes irlandais, il faut reconnaître, en revanche, que parmi les grands prédateurs connus dans l’Irlande ancienne, on comptait surtout le Loup. Si l’on trouve l’Ours dans les textes irlandais et comme élément constitutif dans quelques anthroponymes thériophores ( étude des noms de personnes en relation avec un nom d’animal) irlandais, il faut savoir que la race ursine y constituait une classe animale aussi féerique que le lion et le dragon! Ce fait a justement pu renforcer la valeur symbolique de cet animal; parfois, l’absence d’une espèce animale peut causer une vénération quasi excessive (cette absence peut éventuellement expliquer que le terme beithir, s’il vient en effet du mot norrois – vieil islandais correspondant aux premières attestations écrites d’une langue scandinave médiévale – désignant l’Ours soit utilisé pour un être sauvage – dont l’espèce reste indéterminée – en gaélique d’Ecosse). C’est ce que nous constatons également au compte du lion.