Le Loup N° 7: allons plus loin maintenant.

Canidés: chien, Loup, renard

Chien

Le chien est universellement considéré comme un animal infernal, animal de la mort. Sa fonction de psychopompe est en effet bien attestée. C’est donc un guide des âmes, et il existe des variations importantes de ce thème aux quatre coins du monde. Le canidé est également guérisseur et ses vertus médicinales sont attestées chez les Celtes. Ces derniers ne sont pas les seuls à « confondre » le chien et le Loup. Ce phénomène se trouve aussi chez les Mongoles par exemple. Chez les Celtes, le chien est associé à la classe guerrière. Les métaphores canines pour les guerriers sont nombreuses et, surtout, elles portent un sens très positif contrairement au symbolisme gréco-romain. Toute notion péjorative du symbolisme canin est en effet absente chez les Celtes, à peu de choses près. Il n’y a apparemment pas de véritable chien infernal dans la mythologie celtique. Le canidé maléfique n’apparaît que dans le folklore, et cela sous l’influence du christianisme. Comme pour la plupart des animaux, le symbolisme canin recouvre des aspects antagonistes. Le chien est un animal diurne, mais il possède aussi un côté nocturne et impur.

Comme nous l’avons remarqué plus haut, les tombes excavées des peuples indo-européens nous montrent clairement que les défunts furent accompagnés de vases contenant de la nourriture (ou des boissons d’ailleurs) afin d’assurer le bon voyage du mort vers l’Autre Monde. Dans maints cas on y a même retrouvé des animaux entiers; il peut s’agir de chevaux ou de bovins, mais aussi de chiens – le chien étant l’animal funéraire et psychopompe par excellence (Cf. la fonction psychopompe du chien sauvage noir, incarnation d’Anubis, dans l’Egypte ancienne). Le chien est en revanche également un animal féroce, carnivore et parfois charognard (A titre de comparaison nous nous permettons d’attirer l’attention sur le fait que dans la Grèce ancienne, le chien est considéré comme un charognard, au même titre que certaines espèces aviaires. Le chien et l’oiseau constituent même le couple typique des charognards aux aguets dans la plaine de Troie: « (la colère) qui fit des héros la pâture de tous les chiens et les oiseaux », Homère, Iliade, 1, 4-5. Cette image du canidé charognard est moins présente dans les textes celtiques connus).

Assez universellement, les canidés sont les accompagnateurs des dieux; ceci est sans doute en relation avec leurs habiletés et capacités exceptionnelles au niveau de l’ouïe, du flair et de l’orientation. D’autre part, le chien est également lié à la guérison, car il lèche ses plaies. Le chien est un animal domestique, avant tout sous la forme du bichon, connu de quelques statuettes de l’Antiquité, puis il est l’accompagnateur fidèle de l’homme. Bien sûr, son rôle dans la chasse ne saurait être négligé. Par conséquent, cet animal symbolise à la fois la lutte et sa conséquence extrême qu’est la mort. Son côté protecteur et gardien est reconnu dans ce monde-ci ainsi que dans l’Autre Monde: on ne s’étonne guère de trouver des squelettes canins dans différentes tombes funéraires, d’autant plus que le canidé revêt un rôle de psychopompe. Des os canins se trouvent également dans les sources sacrées.

Le chien est donc un accompagnateur fidèle des hommes comme des dieux; maintes divinités gauloises et brittoniques sont représentées avec un canidé à leurs côtés, par exemple Sirona et Nodons. Plusieurs héros celtiques sont explicitement associés au chien: rappelons le cas du champion irlandais par excellence, Cù Chulainn, mais également celui du héros irlandais Celtchar, qui n’est en vérité qu’un aspect du dieu « varunien » (qui ne fonctionne que par la violence) et qui est par conséquent lié aux chiens infernaux. Il se peut aussi que les légendes arthuriennes aient gardé une trace de ce thème dans le personnage de Tristan, lui aussi lié au chien.

S’il est un compagnon et attribut fréquent des divinités, le chien ne paraît pas avoir eu un statut divin chez les Celtes. On soupçonne l’existence d’un dieu-Loup, mais il n’y a probablement pas eu de dieu-chien.

Dans la TBC figure le célèbre épisode du combat singulier entre Cù Chulainn et Ferdiad. Là encore, le caractère canin du héros ulate (les Ulaid étaient un peuple du nord-est de l’Irlande primitive, qui donna son nom à la province moderne d’Ulster) apparaît. Ferdiaid s’adresse au champion ulate par les mots a-chu(a) ‘ô chien’, et plus tard dans le même récit il l’appelle ar-chù ‘chien de carnage’. Il est important de rappeler que le héros Cù Chulainn (fils du dieu Lugh) dont le nom était auparavant Sétanta, a obtenu le nom de Cù Chulainn, nom qui signifie ‘chien de Caulann’, après avoir tué le chien du forgeron Caulann, son père nourricier, en tant qu’enfant (C’était un exploit qui valait l’épreuve d’initiation, rite pour devenir adulte, après quoi il reçut son nom d’adulte). Le héros est aussi lié aux canidés de par ses geasa, ses interdits: il lui est strictement interdit de manger de la viande de chien; quand il met l’omoplate d’un bichon grillé sous ses cuisses, le héros perd tout de suite sa force. Avant de mourir, le héros achève ses exploits guerriers en tuant une loutre, appelée en irlandais « chien d’eau ». Le champion est donc bien associé aux « canidés ».

Nous avons déjà remarqué que le chien et le Loup sont très proches dans la conception des Celtes; ces animaux sont parfois confondus dans les textes celtiques. Les Celtes avaient sans doute des chiens de combat, qui furent élevés à partir de Loups. Dans ce cadre, il est significatif de savoir que l’irlandais ne possède pas de mot pour désigner le Loup, on a recours à des tournures comprenant le terme ‘chien’: ainsi trouve-t-on cù allaid, ‘chien sauvage’ en ancien irlandais (l’adjectif allaid s’utilise également – mais rarement – dans l’expression bo allaid, « vache sauvage »…) . Ces animaux sont souvent confondus et se retrouvent régulièrement dans les noms propres de guerriers. Des termes descriptifs comme tarw ‘taureau’ (‘tarw, a common metaphor for a warrior in early poetry) aergi ‘chien de combat’ et llew ‘lion’ sont très courants en tant que métaphores pour des guerriers vaillants dans les poèmes anciens du Pays de Galles (les plus anciens monuments de la littérature galloise ne sont pas à proprement parler gallois: les oeuvres des Cynfeirdd ‘Bardes Anciens’ Aneirin/aneurin et Taliesin, bien que conservées dans des manuscrits gallois, étaient d’origine cambrienne, la Cambrie étant la région limitrophe entre la partie méridionale de la Grande-Bretagne – auparavant conquise par les légions romaines – et les régions septentrionales habitées par des tribus insoumises, dont les Pictes. Ces poètes cambriens utilisaient à grande échelle des épithètes, des métaphores ou des descriptions à l’aide de l’image d’animaux sauvages. Le chien en faisait partie) . Ce vocabulaire animal pourrait bien avoir, en partie tout du moins, une origine mythologique.

Les noms de tribus celtiques attestent celui du Loup et du chien; les ethnonymes mis à part, des anthroponymes sont aussi bâtis sur le terme désignant « chien ».

Le rituel prophétique irlandais de Imbas Forosnai ‘grande connaissance/inspiration qui illumine’ impliquait la consommation de viande d’un porc, d’un chat ou d’un chien rouge.

On retrouve le thème de la chasse mythique aux Cerfs, comme nous l’avons constaté plus haut, dans les récits brittoniques: dans l’histoire Pwyll prince de Dyfed, le héros est amené à la rencontre d’Arawn, chef du monde d’en bas appelé Annwn, par l’intermédiaire d’un Cerf. Ce dernier constitue donc le lien entre ce monde-ci et l’Annwn. Le troupeau de chiens de chasse de Pwyll rencontre le troupeau appartenant à Arawn, dont l’aspect surnaturel est mis en évidence par leur couleur: ils sont d’une blancheur presque aveuglante et ils ont des oreilles rouges (nous ne pouvons croire, en revanche, qu’il s’agisse d’une description d’animaux réels: l’auteur, compare les aspects matériels et culturels des Mabinogion avec la société française du Moyen Age, ce qui est un acte légitime. Par contre, sa remarque concernant ce passage particulier, proposant d’y voir des chiens de chasse français, n’est pas justifiée: il ne s’agit pas d’animaux réels, leurs couleurs les désignent clairement comme des êtres surnaturels venus de l’Autre Monde, tout comme leur maître, Arawn. La couleur blanche et les oreilles rouges sont en effet la marque du bétail de l’Autre Monde. On doit avouer, en revanche, comme nous l’avons dit supra dans le chapitre sur la couleur des animaux, qu’il a dû exister en Grande-Bretagne du bétail blanc aux oreilles rouges.

Tous les chiens des récits médiévaux ne sont pas très bien caractérisés: souvent on s’est contenté de les dépeindre comme des compagnons loyaux. Ils font la fierté de leur maître. Dans quelques cas, la « race » est spécifiée: on mentionne par exemple des lévriers dans le récit gallois de Peredur (remarquons d’ailleurs que leur désignation française lévrier provient bien du lièvre, animal que ces canidés chassent régulièrement. Il n’est pas étonnant de trouver justement le lévrier comme l’un des canidés dont la race est précisée, car il s’agit d’un chien chasseur, et la fonction cynégétique du canidé est récurrente dans les textes insulaires). Dans les lois galloises, le fait de lâcher des chiens est un privilège comme l’est le fait d’entamer le porc dans les textes héroïques irlandais. La plupart des grands héros celtes possèdent pourtant un chien exceptionnel, qui sort du commun. On peut penser au récit Scéla Mucce meic Da Tho, dans lequel MacDatho, possède un chien unique du nom d’Ailbe. Ce chien protecteur exceptionnel fait des envieux; les Ulates et des hommes de Connacht viennent demander ce chien à MacDatho, en échange d’objets très précieux. A la fin du récit, après une lutte terrible entre les guerriers des deux provinces, le chien choisit le côté des Ulates.

Dans le conte folklorique gallois connu Bedd Gelert/ Tombe de Gelert, le chien Gelert sauve le bébé du prince Llewelyn de l’attaque d’un Loup. Llewelyn, voyant du sang sur la gueule du chien, suppose que ce canidé a assassiné son fils, et, furieux, abat son chien. Quand le prince apprend que le chien avait, au contraire, protégé son bébé, il fait construire une tombe en son honneur. Des analogies avec cette histoire se trouvent en sanskrit, en mongole, en latin médiéval, etc. Un des thèmes exposés dans le récit est l’opposition entre le chien loyal et protecteur d’un côté, et le méchant Loup de l’autre. Beddgelert est d’ailleurs un toponyme actuel dans le Gwynedd. Cette histoire fournit une explication folklorique d’un toponyme et est en tant que telle comparable au Dindshenchas irlandais.

Bran, Sceolang et Lomair étaient les trois chiens de chasse de Finn. Les deux premiers sont les plus connus et plusieurs histoires en font des chiens d’une intelligence extraordinaire (on peut comparer l’intelligence humaine attribuée à l’un des chevaux de Cù Chulainn ou des deux taureaux de la TBC). Les traditions irlandaise et écossaise leur réservent une place importante. Un récit irlandais relate que Bran et Sceolang étaient des enfants de la soeur de Finn. La mère et ses enfants furent métamorphosés en chiens par l’amant du père. Si la mère retrouva son aspect humain, Bran et Sceolang restèrent des chiens (leur origine humaine explique leur intelligence humaine, comme c’est le cas pour les deux porchers divins, métamorphosés en taureaux) et devinrent les compagnons loyaux de Finn. Finn est d’ailleurs contraint de tuer Bran un jour, ce qu’il fait avec grand regret; la tradition fait de Carnawaddy (-carn an mhadra ‘cairn du chien’), l’endroit où Bran aurait été enterré (comme dans la tradition galloise de Bedd Gelert, cette tradition toponymique attachée à une tombe de chien existe aussi en Irlande. Le Lough Brin dans le comté de Kerry serait nommé d’après Bran). Un autre chien de Finn s’appelait Adhnùall ‘sonorité douce’. Il aurait fait le tour d’Irlande à trois reprises avant de mourir sur le champ de bataille où les Fiana furent enterrés.

La tradition de la possession d’un chien hors du commun est reflétée dans la littérature arthurienne. Cabal/Cafal était le chien d’Arthur; Nennius le mentionne dans son Historia Brittonum. ‘Autre merveille dans la région appelée Buelt. Il y a là un tas de pierres et une pierre posée sur ce tas porte l’empreinte d’un chien. Quand il chassa le porc Troynt (il s’agit du Twrch Trwyth du récit Kulhwch ac Olwen), Cafal, le chien du belliqueux Arthur, imprima son empreinte sur la pierre; plus tard, Arthur assembla un tas de pierres sous celle qui portait l’empreinte de son chien et l’appela Carn Cafal. Des hommes sont venus enlever la pierre et l’ont tenue dans leurs mains un jour et une nuit; le lendemain on l’a retrouvée sur le tumulus’.

Dans le Brislech mor Muirtheimne, Conall possède une jument à tête de chien avec laquelle elle dévore les intestins de ses ennemis. Conall est d’ailleurs décapité par les trois Ruadchoin ‘chiens rouges’. Là on voit bien apparaître l’aspect féroce, belliqueux du canidé.

Dans le récit irlandais Buile Suibhne, plusieurs scènes rappellent l’état de maladie/ folie chamanique, une sorte d' »hallucination » récurrente chez les chamans: Suibhne souffre en effet de l’illusion d’être poursuivi; on lit dans le texte qu’il a des rencontres nocturnes désagréables avec des hordes de têtes coupées. Ces têtes peuvent être anthropomorphes mais il y a également des têtes d’oies et de chiens. Le chien pouvait donc parfois être maléfique.

Ce côté maléfique, phénomène qui reste assez rare, revient dans le folklore des pays celtes. On peut penser dans ce cadre au fairy dog errant dans les environs de Galway, au chien qui hante le Sliab Mis dans le Kerry et au Farbhann en Irlande; au Cù Sith en Ecosse; aux Cwn Annw(f)n et au Gwyllgi au Pays de Galles; au Mauthe Doog et au Moddey Dhoo dans l’île de Man; enfin, on trouve un équivalent en Bretagne dans le Ki du ‘Chien noir’ qui hante le Youdic dans le bourbier de Yeun-Ellez et aussi dans le chien noir qui poursuit Koadalan dans un conte breton aux thèmes archaïques (cf. entre autres MacKillop).

Loup et Louve

Le symbolisme de ce canidé est complexe. Bien évidemment, dans le langage courant, il est synonyme de sauvagerie. Cependant, dans le monde des symboles, tout emblème peut être valorisé positivement autant que négativement. Le Loup symbolise la lumière solaire, le héros guerrier, et il peut être un Ancêtre mythique. Il est un animal céleste dans plusieurs parties du monde. En revanche, la Louve que l’on rencontre dans le mythe de Romulus et Rémus est plutôt terrienne, voire chtonienne (on trouve ce thème du canidé allaitant un enfant qui sera à la base d’une lignée royale, également dans la littérature celtique). Cet aspect chtonien peut être lié à la fécondité ou, au contraire, au monde infernal. C’est le dernier symbolisme qui subsiste dans la notion du « grand méchant loup ». Hadès, maître grec des Enfers, est revêtu d’un manteau de peau de Loup; le dieu Etrusque de la mort a des oreilles de Loup. Zeus Lykaios prenait parfois l’aspect d’un Loup. Au Moyen Age, les sorciers se transforment souvent en Loup. Là, l’animal est devenu satanique.

Le Loup est également un dévorateur. Le Loup de la mythologie nordique en est un exemple. D’ailleurs, les Germains croyaient en un Loup géant du nom de Fenrir, ennemi implacable des dieux. Le Loup partage avec le chien certains traits morphologiques, et ces animaux incarnent parfois le même symbolisme. Tous deux sont notamment considérés comme psychopompes. Dans l’anthroponymie et dans les textes celtiques, on constate une proximité voire une confusion entre le chien et le Loup.

Dans le domaine indo-européen, il existe une liaison entre une sorte de drogue et la métamorphose en Loup, phénomène également connu des Celtes. Cette tradition est sûrement l’origine des croyances en la transformation en loup-garou du Moyen Age.

D’ailleurs dans la mythologie scandinave, dans laquelle on trouve fréquemment des parallèles avec la mythologie celtique, le serpent (cosmique), appelé parfois JOrmungandr « énorme monstre » a un frère, le Loup Fenrir, que nous avons déjà mentionné, lui aussi monstrueux, et adversaire d’Odin. Ces deux monstres ont des caractères cosmiques:

Leur forme animale précise la classe à part parmi les êtres maléfiques d’Ûtgaror, leur donne un caractère plus « primitif », plus élémentaire et les désigne comme le monstre de la terre (qui désole, qui ravage la terre – le Loup, terreur des forêts) et le monstre de la mer (le serpent, incarnation du danger des flots, de l’onde « perfide » et « tortueuse »)’.

Si le chien – tout comme le taureau ou encore comme d’autres animaux féroces – peut constituer une métaphore guerrière, le Loup lui aussi peut désigner métaphoriquement un guerrier: dans la Prophetia Merlini/ les Prophéties de Merlin, sorte d’annexe à la célèbre Vita Merlini, Merlin le « fou sylvicole », le guerrier devenu fou après une bataille, et qui vit sa folie seul en pleine forêt, parle du « Loup marin » pour désigner l’ensemble des guerriers saxons venus par la mer envahir l’île de Bretagne (la désignation canine des guerriers saxons n’est pas le fruit du hasard; précisément chez les Germains, le Loup était la métaphore guerrière par excellence).

Dans la littérature irlandaise ancienne, les brigands sont souvent décrits métaphoriquement comme des « loups ».

Il faut mentionner aussi l’importance du Loup dans l’hagiographie (branche de l’histoire religieuse qui traite du culte et de la vie des saints) irlandaise: saint Molua a la réputation d’avoir créé une fête annuelle pour les Loups; l’animal apparaît dans beaucoup de Vies; le Loup est obéissant. Saint Ailbe et aussi Bairre auraient été allaités par une Louve (on constate une correspondance indo-européenne dans la matière, dont le mythe de Romulus et de Remus est l’exemple le plus connu); on doit mentionner aussi le fait curieux que les gens adressaient des prières à l’égard des Loups, comme s’ils étaient des êtres humains.

Dans le récit Togail Bruidne da Derga/ La destruction de l’auberge de Da Derga, Conaire détient sept otages sous la forme de Loups, pour s’assurer que les Loups d’Irlande ne prennent qu’un veau par an de chaque étable en Irlande.

Le Loup était un animal sacré dans l’Irlande païenne et il fut associé au Soleil.

Nous avons parlé à plusieurs reprises du roi Mongàn, figure mythique, basée sur un personnage historique du VIIe siècle. Parmi les faits remarquables incorporés autour de ce personnage, figurent sa conception magique et sa capacité de métamorphose. Plusieurs traditions font du dieu Manannàn mac Lir le père de Mongàn. Ces traditions relatent comment Mongàn, quand il n’est âgé que de trois jours, rejoint son père en Tir Tairngire, le ‘Pays de Promesse’, où il acquiert des connaissances ésotériques et les capacités de se transformer en cerf, saumon, phoque, cygne et Loup.

Geoffrey de Monmouth transmet des traditions à l’égard du roi Bladud, qui aurait construit les thermes de Bath, qui aurait appris à voler comme Dédalos, et qui aurait appris des techniques magiques (Historia Regnum Britanniae). Ce qui nous intéresse ici en premier lieu, c’est son nom, à comparer au gallois Blaidudd qui signifie ‘Seigneur-Loup’. Son fils était nommé Leirus (ce personnage inspirera le futur King Lear de Shakespeare), un nom qui fait penser au dieu marin insulaire Ler/ Llyr, mais qui ne paraît pas identique. On l’a mis en correspondance avec Apollon, dont le Loup était l’un des attributs (comme le dieu Lugh qui était protégé par deux Loups et qui était la correspondance du dieu Apollon).

Dans le récit de Kulhwch ac Olwen, apparaît une chienne sous les traits d’une Louve, appelée Rhymi, qui fait partie des merveilles recherchées par Kulhwch:

« As-tu entendu parler de cette chienne par ici? Quelle forme a-t-elle? – Elle a la forme d’une louve, dit-il, et elle se déplace toujours avec ses deux petits. Elle a souvent tué mon bétail. Elle est en bas, dans une caverne au bord de l’Aber Cleddyv.  » Arthur partit en mer dans son navire, le Prydwenn, et il envoya une partie de ses guerriers par voie de terre, pour chasser la chienne, en l’encerclant ainsi, elle et ses deux chiots. Et dieu les rendit à leur forme naturelle par amour d’Arthur.’

Ce passage, dans lequel les Loups sont retransformés en êtres humains, pourrait être une réminiscence à l’époque où la métaphore guerrière du chien et du Loup était devenue négative et diabolique. En effet, après la christianisation, les Loups et les loups-garous sont souvent considérés comme des maudits métamorphosés.

Renard

Dans maintes régions du monde, le renard est considéré comme un héros civilisateur et créateur. En Chine et au Japon, l’animal est associé aux divinités de la fertilité. En Sibérie, en revanche, le renard « noir » a aussi un rôle de psychopompe car il y est le rusé messager des enfers, qui mène les héros vers le monde d’en-bas. Cette fonction de psychopompe apparaît peut-être également dans le folklore celtique.

Nous avons mis le renard dans le chapitre traitant des canidés, suivant une classification zoologique moderne, mais nous ignorons si les Celtes anciens faisaient le lien entre le chien et le Loup d’une part, et le renard de l’autre, quoiqu’on trouve un élément lexicologique d’importance en irlandais moderne: un des termes pour désigner le renard y est justement madra rua, « chien rouge » (ce terme équivaut à la dénomination d’un autre animal, considéré comme un canidé chez les Celtes: la loutre est appelée « chien d’eau » dans les langues celtiques insulaires). On peut éventuellement supposer l’existence de ce terme en vieil-irlandais (). Nous avons pu voir ci-dessus que le chien, le Loup et la loutre ont des connexions, et qu’ils incarnent plutôt une symbolique guerrière, héroïque, même si le symbolisme derrière le chien est assez polyvalent. Nous avons éventuellement une raison pour soupçonner une symbolique royale derrière le renard.

En effet, nous avons constaté supra que certains chefs celtes ont porté le nom du renard. C’est entre autres le cas pour ce qui concerne Crimthann (il y a au moins trois princes irlandais qui portent ce nom), en tout cas, ce nom est synonyme de sinnach ‘renard’ en lexicographie. N’oublions surtout pas le nom du roi arverne Lovernios, père de Bituitos, qui évoque lui aussi le renard. Malgré le parallèle entre les quelques anthroponymes royaux de Crimthann d’Irlande et l’anthroponyme royal gaulois Lovernios, nous n’avons sans doute pas assez de preuves pour confirmer l’hypothèse d’une éventuelle symbolique royale de ce beau canidé.

Quoiqu’il en soit, le renard est également porteur d’une symbolique négative, dans les temps (pré-) modernes, où l’animal est souvent un « rusé », tout comme dans l’Antiquité d’ailleurs.