Le Cerf N° 1: le Cerf dans la culture.

Le Cerf dans la culture est présent dans de nombreux récits, contes ou légendes, chez tous les peuples qui l’ont c^toyé ou chassé depuis la préhistoire. Il a donc joué un rôle important du Maghreb, de l’Europe, de l’Asie et via le Détroit de Béring, de l’Amérique du Nord. Ce sont les bois qui ornent son front qui en ont fait un animal mythique par leur majesté et leur renouvellement périodique considéré comme un symbole de fertilité, de la mort et de la renaissance. La puissance de son brame et le caractère tumultueux de ses amours s’ajoutent au mythe et témoignent du renouvellement continu de la vie dans de nombreuses traditions religieuses. Ce fut l’un des animaux les plus représentés de la Préhistoire, à l’Antiquité, puis au cours du Moyen Age dans les miniatures et enluminures ornant une grande partie des livres et traités de chasse qui lui ont été consacrés.

La Noblesse de cet animal: voici donc l’animal porteur d’une forêt de symboles tous apparentés au domaine obscur de la force vitale. Et d’abord ses bois, cette ramure dont le nom, la forme et la couleur semblent sortir des arbres et que chaque année élague comme un bois sec, chaque année les refait pour donner la preuve visible que tout renaît, que tout reprend vie; par la chute et la repousse de ces os branchus qui croissent avec une rapidité végétale, la Nature affirme que sa force intense n’est qu’une perpétuelle résurrection, que tout doit mourir en elle et que pourtant rien ne peut cesser. Aussi a-t-elle lié les bois du Cerf à l’élan (comme l’élan) dont elle est tout entière la pérennité. La profusion de la sève qui les nourrit rejoint en lui la richesse de la semence, de sorte qu’il représente l’immémoriale vigueur fécondante, la puissance d’une inlassable sexualité. Son brame les met en scène d’une façon qui frappe l’imagination des hommes. Aussi a-t-on pris l’animal comme l’expression de la virilité, et par là de la puissance, puis de la suprématie. Pendant des siècles, Cerf et seigneur ont été voués l’un à l’autre, il a été fait noble, un interdit frappait sa viande, son braconnage était puni de mort. Seuls les rois des hommes pouvaient chasser le roi des forêts.

Préhistoire: depuis des temps immémoriaux, le Cerf est omniprésent dans les légendes et contes tant profanes que religieux de tous pays où cet animal mythique a sollicité les imaginations. Le Cerf apparaît au paléolithique supérieur (entre 35 000 et 10 000 ans avant notre ère) sur les parois de grottes comme celles de Lascaux, Niaux, Chauvet, Altamira en tant qu’animal de chasse.

Mythes et légendes hongroises: il devient même le fondateur avec Csodaszarvas, le Cerf magique de la mythologie hongroise, où il a joué un double tôle. Tout d’abord, il fut considéré comme l’ancêtre maternel des tribus des Huns et du peuple hongrois. Puis cette divinité fut déchue de son statut de déesse-mère pour devenir l’ancêtre mâle des mêmes. Une légende veut que Hunor et Magor partirent une fois chasser avec leurs hommes. Ils étaient sur la piste d’une bonne proie, quand ils aperçurent un Cerf et se mirent à le poursuivre. En dépit de tous leurs efforts pour le forcer, ils n’y parvinrent point avant le crépuscule. Ils s’installèrent pour camper. Le lendemain, ils virent à nouveau le Csodaszarvas et continuèrent à le poursuivre. Finalement, le Cerf les conduisit vers une nouvelle et riche terre où ils décidèrent de s’installer et de s’installer et de se marier. Les descendants de Hunor furent les Huns, ceux de Magor les Magyars.

Mythes et légendes celtes: quant à Cernunnos, le Cornu, c’est un dieu gaulois qui porte des bois de Cerf et un torque. Dieu de la virilité, des régions boisées et de la régénération, il est souvent accompagné d’un serpent à tête de bélier et d’un Cerf.Bien que l’on ait plusieurs représentations, son nom n’est attesté que par une unique inscription gallo-romaine: celle du pilier des Nautes de Paris, conservée au musée de Cluny. On le retrouve sur le chaudron de Gundestrup. Tout comme le Cerf magique, Kernunnos figure la puissance du culte masculin « qui s’est répandu lentement dans la préhistoire en complément – et non en opposition – du culte de la Déesse-Mère, la Terre-Mère dans son aspect positif de donneuse de Vie ».

En tant que dieu de la régénération de la Vie, il connaît une nature cyclique: il apparaît au solstice d’hiver, se marie à la fin du printemps et meurt au solstice d’été. Puis à Samhain il sort des Enfers pour se lancer dans sa Chasse Sauvage. Le dieu père des Gaulois (auquel Jules César donne le nom d’un dieu romain, Dis Pater, nom archaïque de Pluton), pourrait être Cernunnos. Le Cerf serait lié au souffle. La représentation de Cernunnos, dieu mi-humain, mi-animal, cesse apparemment au IIe siècle de notre ère. Mais elle aurait pu perdurer sous d’autres formes puisque certains voient dans la cohorte des saints bretons semi-légendaires, saint Herbot, saint Edern et saint Théleau, tous traditionnellement représentés comme chevauchant un Cerf, ses héritiers. Quant à saint Cornély, il serait tout simplement le dieu celte christianisé.

« Le caractère tumultueux des amours du Cerf pour transmettre la Vie, ainsi que le renouvellement annuel de ses bois, lui ont fait revêtir le sens du renouveau, de la conversion, de l’immortalité et de la Vie Eternelle ».

Mythes et légendes gréco-romaines: Actéon, chasseur habile, surprend, au cours d’une chasse, la déesse Artémis (Artos: Ours) dans son bain qui le transforme en Cerf. Il meurt déchiré par ses chiens. Les poètes dépeignent Diane, déesse de la chasse dans la mythologie romaine, après son assimilation à la déesse Artémis du panthéon grec, tantôt sur un char traîné par des biches ou des Cerfs blancs, tantôt montée elle-même sur un Cerf, tantôt courant à pied avec son chien, et toujours entourée de ses nymphes, armées comme elle d’arcs et de flèches.

Symbolique chrétienne: dans le Physiologus, composé au IIe siècle de notre ère, le Cerf était assimilé au Christ. Quant à Bède le vénérable, il en faisait l’image du chrétien et Raban Maur le comparait à l’homme innocent. Le Cerf, symbole du Christ, apparaît dans la vie des saints tels que saint Patrick, sainte Hélidie, dite Alyre, sainte Begge ou Julien l’Hospitalier, et le fameux saint Hubert. Le psaume 4é compare le Cerf assoiffé à l’âme assoiffée de Dieu: « Comme un cerf assoiffé recherche les courants et les ruisseaux, mon âme a soif de Dieu, du Dieu vivant; quand irai-je et paraîtrai-je devant la face de Dieu? »

Lié par la mystique chrétienne au psaume 63 (« Ô Dieu! tu es mon Dieu, je te cherche; mon âme a soif de toi, mon corps soupire après toi, dans une terre aride, desséchée, sans eau ») ce psaume fait du Cerf le symbole de l’âme désireuse du face à face avec Dieu: Roland et le pape Clément VI par exemple(s) sont enterrés drapés dans un linceul en peau de Cerf. Les récits médiévaux le font figurer souvent dans les scènes bibliques, au Paradis, parmi les animaux dans l’Arche de Noé.

Culture profane: le Cerf est également représenté dans de nombreux épisodes du Cycle Arthurien (Erec et Enide, par exemple) et il est une des métamorphoses favorites de Merlin, ce dernier étant un personnage (celte) christianisé, il s’agit là vraisemblablement d’une survivance du paganisme passée dans le conte/ légende.

Survivance de la symbolique celtique? L’image celtique du Cerf blanc, messager du monde invisible, semble avoir perduré jusqu’aux textes historiques ou littéraires des débuts du Moyen Age relatifs à la vie des rois ou des personnages célèbres. Tout au long du Moyen Age, le Cerf – tout comme la biche – apparaît tel un révélateur des vérités recherchées par l’homme.

Une biche fit découvrir la retraite de saint Gilles aux officiers du roi Wamba, tandis qu’un Cerf indiquait à Dagobert le lieu où reposaient les reliques de saint Denis. Toujours aux temps mérovingiens, saint Hubert, chassant un Vendredi Saint rencontre un Cerf blanc avec une croix entre les bois, qui lui reproche de ne penser qu’à la chasse au point d’oublier le salut de son âme. La blanche biche est un thème récurent des légendes médiévales.

Propagande royale: Le Cerf (en général blanc) est souvent le signe de la faveur dont jouit celui qui bénéficie de sa vision:

En l’an 507, une biche montra à Clovis un gué sur la Vienne qui permit au roi chrétien de marcher sur les hérétiques wisigoths d’Alaric II et de les vaincre à la bataille de Vouillé. Dès le VIe siècle, le cerf entre dans l’emblématique royale de France. Charles VI fait du Cerf ailé son emblème de prédilection, comme relaté par Philippe de Mézières dans le Songe du vieil pèlerin. Ses successeurs, Charles VII et Louis XII, ainsi que la branche les ducs de Bourbon, le choisissent comme support de leurs armes. A la même époque, Richard II, roi d’Angleterre, adopte pour bannière le Cerf blanc reposant sur une terrasse herbue.

Le Cerf, symbole royal, symbole de victoire du roi de France: sur la tapisserie des Cerfs ailés, tissée à la fin du XVe siècle, deux Cerfs qui s’apprêtent à entrer dans l’enclos symbolisant le Royaume de France, sont les figures de la Normandie et de la Guyenne, deux provinces reprises aux Anglais après les victoires de Formigny (1450) et de Castillon (1453) à l’issue de la guerre de Cent Ans.

Roi des forêts, gibier des rois: animal royal, le Cerf est la figure obligée des scènes de chasse; il apparaît notamment dans le traité de chasse de Gaston Fébus et le pape Clément VI avait fait peindre une fresque dans son cabinet de travail, la Chambre du cerf au Palais des papes d’Avignon.

Pharmacopée: il est à noter que jusqu’au XVIe siècle, le bois de Cerf, coupé en tranches et frit, passait pour un régal de roi. En outre, la corne de cerf se vendait chez les épiciers. Elle servait à préparer des gelées et entremets. Le Cerf fut même paré de vertus roboratives (fortifiantes).

Légende de Saint Hubert: en réalité, il y a deux légendes où le Cerf, symbole du Christ, parle et pousse à la conversion. Au fil du temps, l’une a chassé l’autre. Telle fut initialement l’aventure de Placidius, un romain illustre par sa naissance, ses richesses et sa valeur militaire. Il poursuivait à la chasse un Cerf, quand soudain l’animal s’arrêta et son poursuivant vit entre ses ramures le Christ crucifié. Le Cerf lui parla de son salut et l’invita à se faire baptiser, ce qu’il fit avec son épouse et leurs deux enfants. Placide aurait reçu, après sa conversion, le nom d’Eustache. Devenu général, il revint victorieux d’une expédition, mais refusa de rendre grâce aux dieux et à l’empereur de ce triomphe. Ce qui lui valut d’être arrêté et exposé aux lions avec les siens. « Ils furent alors enfermés dans un boeuf d’airain incandescent, et consommèrent leur martyre par ce supplice » affirme le Martyrologe. Le récit de ce martyre apparaît uniquement à partir du VIIIe siècle et serait une création de l’époque carolingienne. Eustache est l’un des quatorze saints auxiliateurs (secondaires). Il aurait vécu vers l’an 130, avec sa femme et ses deux fils. On le fête le 20 septembre. Saint Hubert (656-727), est contemporain de la diffusion de cette légende. La sienne ne commença à prendre forme qu’à partir du XVe siècle, soit huit siècles après la mort de l’évêque de Liège. Avec le recul, elle apparaît comme un simple copier-coller de celle d’Eustache.

Sa légende a traversé les âges et exerce toujours un attrait incontestable. Saint Hubert, le futur patron des chasseurs, commençait à chasser, un Cerf blanc dix-cors quand celui-ci bondit d’un fourré, s’arrêta net et se retourna. Ce fut alors que son chasseur vit entre ses bois un crucifix. L’animal se présenta alors comme étant le Crucifié et lui demanda de se convertir. Dans la légende, cette apparition est expliquée par le fait qu’Hubert avait osé chasser un Vendredi Saint. Mais d’après un autre récit, l’événement aurait eu lieu le jour de Noël.

Dans la construction de cette légende, il n’est pas indifférent de noter qu’elle fait apparaître un Cerf dix-cors pour marquer « le symbolisme avec les dix commandements reçus au mont Sinaï par Moïse, pour inviter l’Humanité à se tourner vers Dieu », et que le Cerf, et particulièrement le Cerf blanc, est devenu dans l’iconographie médiévale le symbole du Christ ou son envoyé.

Cette scène, tant de fois reproduite, tant par l’art religieux que par l’art populaire, est devenue un poncif (lieu commun, idée sans originalité) et il serait bien difficile de représenter Hubert autrement que descendu de cheval et agenouillé devant le Cerf miraculeux qui porte un crucifix entre sa ramure.

Devenu évêque de Liège, il mourut le vendredi 30 mai 727, âgé de 71 ans. D’abord enseveli à Liège, sa dépouille fut transportée, en 825, à l’abbaye d’Andage qui devint désormais l’abbaye Saint-Pierre-Saint-Paul de Saint-Hubert (Wallonie). Le 3 novembre, jour de sa canonisation, la fête de Saint-Hubert est célébrée par les chasseurs lors de grandes chasses et d’une grande messe en l’abbaye. On y baptise également tous les animaux présents.

« Dans le cas de saint Hubert, l’apparition du Cerf, n’est pourtant pas le fait du hasard. Avec un rapport sans doute heureux mais plutôt fortuit avec le fait que Hubert pratiquait le chasse, le Cerf est d’un symbolisme constant dans l’iconographie chrétienne primitive. Depuis les psaumes jusqu’aux peintures des catacombes de Rome (Saint Calixte, Domitille), aux basiliques paléochrétiennes, et bien au-delà plus proche de nous, l’image du Cerf étanchant sa soif à la fontaine – la source de vie renouvelant tous les printemps la magnificence de ses bois – fait clairement écho à la fameuse formulation de saint Paul « dépouiller le vieil homme pour revêtir l’homme nouveau ».

Autres contes et récits traditionnels européens: le Cerf apparaît dans de nombreux récits et contes merveilleux européens. On le trouve par exemple dans le Lai de Tyolet (XIIe ou XIIIe siècle). Dans les Contes de Grimm, un Cerf blanc joue un rôle important dans le conte intitulé Le Cercueil de verre ( Der gläserne Sarg), où il s’agit d’un jeune homme ensorcelé, qui combat, au début du conte, un sorcier qui a lui-même pris la forme d’un taureau noir. Un Cerf, chassé en vain, apparaît aussi dans Les Enfants d’or (Die Goldkinder) et dans Les Deux Enfants royaux (De beiden Künigeskinner).

Traditions amérindiennes: le Cerf, ou son équivalent le daim, apparaît notamment dans les traditions des Indiens d’Amérique du Nord, qui manifestent dans leurs danses et leur cosmogonie le lien du Cerf et de l’Arbre de Vie. Parfois dans l’art indien, l’arbre est représenté comme sortant des bois fourchus de l’animal. L’effigie du Dieu Soleil des Hopis est taillée dans une peau de daim.

Croyances asiatiques: dans la Chine ancienne et au Cambodge, le caractère solaire du Cerf apparaît sous un aspect maléfique: il y est lié à la sécheresse. Au Japon, les Cerfs et les biches de Nara évoquent au contraire une idée de pureté primordiale et sont considérés comme des animaux protecteurs de la cité.

Enfin, il y a le Cerf dans la fiction; on le voit apparaître dans des oeuvres cinématographiques et dans maintes oeuvres d’art (peintures, sculptures, livres…).