Le Cerf N° 4: la profonde symbolique chez les Celtes et les Gallo-Romains – A.

Si le dieu aux bois de Cerf est bien le grand dieu des Celtes, il importe de vérifier que la vénération de cet animal et son usage cultuel, les dépôts, offrandes et sacrifices qui le concernent, sont bien attestés, et que cette vénération se distingue de celle qui a cours ailleurs dans l’Empire romain. Partout en Europe et en Asie, depuis l’âge paléolithique, les bois de Cerf ont symbolisé le cycle du renouveau de la Vie. Les bois de Cerf ont des vertus thérapeutiques pour Aristote et pour Pline l’Ancien. La question est de savoir si les peuples de culture celtique ont eu une image originale du Cerf ou s’ils ont conservé une image communément répandue, mais qui s’est plus ou moins effacée ailleurs quand le polythéisme d’Etat s’est imposé aux abords méditerranéens. Il ne pourra s’agir évidemment d’une analyse exhaustive dont nous n’avons pas les moyens. Nous proposons ici une exploration visant à dégager les lignes principales de ce que pouvait signifier le Cerf et ses bois dans la pensée mythique des Celtes.

Un jeu de mots celtique assimile le Cerf et les êtres célestes (et par extension les dieux): la racine du mot devos proche du latin dies; dives, « lumière du jour, ciel » est un homonyme de devos proche du teutonique dhewo-m, « cervidé », qui a donné deer en anglais. Devo-ialon peut donc désigner suivant le contexte « la clairière des cerfs » ou « la clairière céleste ». La découverte de restes de cervidés apprivoisés dans l’enceinte de sanctuaires semble indiquer que ce double sens n’était pas anecdotique, mais exprimait au contraire une réalité profonde.

Tite-Live et Plutarque ont témoigné indirectement du caractère sacré du Cerf chez les Celtes. Au contraire des Romains qui méprisaient le Cerf « lâche », parce qu’il détalait, les Celtes le vénéraient, non pas comme il a été dit à cause d’un environnement plus boisé, mais parce qu’ils le comprenaient dans un autre contexte symbolique. On en a un exemple à propos de la bataille de Sentinum, qui opposa en 295 av. J.C. des armées samnites et gauloises à une armée romaine, quand une biche apparut entre les lignes et fut poursuivie par un Loup. La biche qui se réfugia dans le camp gaulois fut tuée, tandis que le Loup traversa sain et sauf les lignes romaines. Un soldat romain se serait écrié fort à propos: « La fuite et la mort passent de ce côté-là, où vous voyez étendu l’animal consacré à Diane » (Tite-Live X, 17-18). On sait que la magie a toujours fait partie de l’art de la guerre et que les Romains avaient des prières pour évoquer les dieux de leurs ennemis. Il était vital de garder secret le nom du dieu capable de donner la victoire. Il est très probable qu’il était interdit de prononcer le nom du dieu de la tribu. Teutatès (« Celui de la tribu ») n’est qu’une périphrase. Le surprenant récit qui met en scène le légionnaire plein d’à-propos peut laisser penser que la biche était l’équivalent de la Louve romaine, c’est-à-dire l’animal emblématique des Celtes. L’hypothèse ne peut pas être vérifiée pour le moment. L’idée d’un totémisme des Celtes a été repoussée vigoureusement, peut-être trop. L’anecdote a d’ailleurs pu être inventée a posteriori à partir des restes d’un sacrifice observé dans le camp gaulois. Et si le Loup faisait partie du rituel…!? Présence insolite d’un Loup et d’une biche au milieu de lignes d’armée qui faisaient assurément un vacarme épouvantable…Pouvait-il s’agir d’un sacrifice? Mais on ne rencontre pas de reste d’animaux sauvages dans les sanctuaires, en principe… Les Gaulois du Ier siècle, comme les autres peuples indo-européens, ne sacrifiaient que les animaux de leur production. Mais ils constituaient un pécule en versant une amende pour chaque animal tué à la chasse. A la fin de la saison, ils achetaient une chèvre, un mouton ou un veau qu’ils sacrifiaient à Artémis (ours) pour la dédommager de ce que les hommes avaient prélevé sur son troupeau. Les animaux sauvages représentaient un « capital divin » qu’il n’était permis de tuer, que dans des circonstances particulières et avec contrepartie. La guerre était-elle une de ces circonstances, parce que le domaine des dieux lui-même était menacé? Mais des Cerfs ont bien été sacrifiés y compris dans des sanctuaires. La question est donc de préciser en quelles occasions.

L’histoire de la biche du tribun Quintus Sertorius est insérée dans un contexte équivalent: la guerre, l’intervention divine et la présence de troupes barbares de culture celte. L’action se passe pendant la répression de la révolte des Celtibères en 97 av. J.C.. Plutarque raconte que Sertorius avait perdu un oeil dans une bataille, ce qui l’aidait à passer pour un magicien. On lui avait offert un jour un faon blanc qu’il avait dressé pour le suivre partout et pour s’approcher de son oreille:

il se mit peu à peu à la diviniser, pour ainsi dire, débitant que sa biche était un présent de Diane; et, comme il connaissait l’empire de la superstition sur les barbares, il leur fit accroire que cet animal lui découvrait bien des choses cachées (…) Etait-il informé, par quelque avis secret, que les ennemis avaient fait une incursion sur les terres de sa province, ou qu’ils avaient sollicité une ville à la défection, il feignait que la biche lui avait parlé pendant son sommeil, et qu’elle lui avait commandé de tenir les troupes prêtes à combattre. Apprenait-il qu’un de ses lieutenants avait eu quelque avantage, il faisait cacher le courrier, et il produisait en public la biche couronnée de fleurs, ce qui annonçait une heureuse nouvelle (…) Il fit cacher la biche; et, peu de jours après, il parut en public avec un visage gai, disant aux chefs des barbares que la divinité lui avait annoncé, pendant son sommeil, qu’il lui arriverait bientôt quelque chose d’heureux; puis, montant sur son tribunal, il donna audience à tous ceux qui se présentèrent. Cependant la biche, lâchée par ceux qui la gardaient près de là, voyant Sertorius, s’élance, toute joyeuse, vers le tribunal, appuie sa tête sur les genoux de Sertorius, et lui lèche la main droite: c’était la caresse qu’elle avait accoutumé de lui faire auparavant. Sertorius y répond par des témoignages d’une véritable affection, jusqu’à verser des larmes. Après quelques moments de surprise, les spectateurs finissent par battre des mains, en s’écriant que Sertorius est un homme divin et chéri des dieux (Les Vies des Hommes illustres. III, 11 et 20).

Le motif de la biche messagère des dieux couronnée de fleurs rappelle le torque tendu au cou du Cerf sur la plaque de Gundestrup. Elle incarne la parole divine et la prophétie. Son apparition est un signe favorable qui prouve la proximité et la faveur des dieux. On peut donc se demander si les Celtes n’ont pas voulu s’en assurer également avant de combattre à Sentinum.

La chasse au Cerf. le Cerf a été peu consommé en milieu citadin à l’époque romaine et ce n’est qu’au Bas-Empire qu’il devint une bête à traquer, surtout en Germanie. Cela explique peut-être qu’à Antan (Vienne), les squelettes entiers de deux Cerfs, l’un adulte, l’autre plus jeune, côtoyaient des restes de porc et de lièvres dans une sorte de tombe pourvue d’amphores. La consommation de la viande de Cerf était-elle interdite? Réservée à une élite restreinte et dans des circonstances particulières?

Cependant, quelques graffitis attestent que la chasse au Cerf suivant « l’usage des Gaulois » est courante en Gaule romaine. Un décor de poterie d’Alésia représente un Cerf entouré de sarments de lierre, avec une longe fixée par un anneau à sa bouche pour chasser au brame. La mosaïque de Lillebonne représente une chasse au brame dans un contexte cultuel d’un sanctuaire d’Apollon et de Diane. Cette façon de chasser devait avoir une composante rituelle, car, selon Arrien, les Celtes ne chassaient jamais « sans les dieux ». Le témoignage de saint Germain, qui écrit que Childebert Ier chassait à la gauloise et suspendait des ramures de Cerf et des hures de Sanglier sur les branches d’un poirier sacré, atteste la permanence (ou le renouvellement) de cet usage jusqu’à la deuxième moitié du VIe siècle pour le moins. Le graffiti de l’arène de Vesunna (Périgueux) qui montre des Cerfs acculés dans un enclos, des Cerfs blessés par des flèches et des Sangliers qui se bousculent, a une signification un peu différente, car on peut se demander si elle n’était pas sacrilège aux Gaulois fidèles aux anciennes croyances. Un graffiti figurant un Cerf sur un tesson découvert dans l’enceinte de l’oppidum de Manching en Bavière, c’est-à-dire en milieu citadin, indique cependant que le Cerf n’est pas seulement représenté dans un contexte de chasse.

Le Cerf est un symbole funéraire. Le Cerf est un symbole funéraire dès l’époque de Hallstatt. La présence de figurines de Cerfs en terre cuite dans les tombes gallo-romaines confirme son caractère sacré et son rôle de premier plan sur le plan funéraire. Le décor peint d’une urne cinéraire de la tombe de Gemeinlebarn (Autriche), représente des figurines sacrées, parmi lesquelles un cavalier et un Cerf. A Ville-sur-Lumes (Ardennes), trois urnes cinéraires de la nécropole des Sarteaux contenaient, outre les débris habituels de porc et de pigeon, le bas de la patte arrière droit d’un Cerf dont la valeur ne pouvait pas être alimentaire, mais sans doute analogue à celle de la patte de lapin. Dans un puits funéraire des environs de Bernay (Eure), plusieurs Cerfs entiers, ainsi que des têtes et des bois de Cerfs ont été découverts au milieu de nombreux ossements. Dans la région badoise, une tombe alémanique, d’époque mérovingienne contient la dépouille d’un guerrier muni de son épée, en compagnie d’un cheval et d’une biche. Les enfouissements montrent une continuité remarquable puisque les plus anciens remontent aux Gallo-Romains et les plus récents aux Mérovingiens. Comme pendant la préhistoire, les reliques de Cerf protègent les défunts et facilitent l’accès à la Vie Eternelle, sans doute parce qu’il incarne la force vitale qui meurt en hiver et renaît au printemps.

Sacrifices humains? Il est attesté que le Cerf a été associé à la mort et peut-être au sacrifice humain. C’est ce que montre un masque de Cerf découvert dans la grotte de Majda-Hrasko en Slovaquie avec deux autres masques sciés dans la partie faciale de crânes humains, ainsi que les ossements d’une douzaine d’hommes, qui portaient des traces de coups de couteau, de bris intentionnels et de brûlures. Les découvreurs ont émis l’hypothèse qu’il s’agissait de rituels magiques et initiatiques comprenant des sacrifices humains. Il est facilement concevable que les masques confectionnés avec des crânesz humains ont symbolisé la mort ou celui qui la donne. Mais la signification du masque de Cerf est plus difficile à comprendre dans ce domaine. Servait-il pour indiquer à l’initié ou à celui qui passait en jugement qu’il allait revivre et donc sortir vivant du monde des morts? Etait-il porté par le « juge » qui décidait de la vie ou de la mort parce qu’il représentait l’entité divine gouvernant la vie ou la mort ainsi que le passage entre les deux?

Les bois de Cerf. La corne, celle du Cerf particulièrement, a toujours servi à protéger des forces malignes. Chez Pline, les bois de Cerf symbolisent la longévité et la résurrection de par leur renouvellement annuel (Histoire naturelle, VIII, 50). Le Cerf est capable, selon lui, de se soigner lui-même, et sa chair éloigne les fièvres. Sa peau et l’os cruciforme de son coeur favorisent les accouchements, c’est-à-dire les passages vers la Vie. A la fin du IVe siècle, Symmaque qui fut élevé en Gaule, écrivit pour décliner l’offre des viscera ferina que ses amis lui avaient fait parvenir comme reconstituant, révélant ainsi qu’on mangeait très vraisemblablement les tripes du Cerf afin de bénéficier de leur pouvoir régénérateur et rajeunissant (Epist. IV, 18). En Espagne, le motif du Cerf décore les aiguillères de bronze servant pour les libations pour illustrer la vertu de rénovation de l’eau, qu’on retrouve aussi dans les légendes du Moyen Âge dans lesquelles un Cerf conduit le héros à la fontaine de Jouvence.

La force virile du Cerf est un lieu commun en Europe où on a employé jusqu’à la fin du XIXe siècle sa corne broyée pour ranimer les vigueurs déclinantes. Chez les Anciens, la vigueur, la fécondité et le renouveau de la Vie étaient liés, d’où l’emploi des rondelles découpées dans les bois de Cerf pour renforcer la vigueur sexuelle, écarter les esprits malfaisants et s’assurer une longue vie. On portait les rondelles taillées dans les meules ou dans les sections rénovatrices à la base des bois pendant la vie et dans la tombe. De telles rondelles percées d’un trou de suspension ont été découvertes dans des tombes gallo-romaines, mérovingiennes et carolingiennes, en Gaule, en Allemagne du Nord et en Hollande. Les médaillons fabriqués avec des andouillers étaient portés sur des vêtements ou attachés à des parois afin de parer les dangers menaçant les chevaux et les êtres humains, en particulier les enfants. Ces amulettes étaient décorées. Les décors symétriques et géométriques ont été utilisés dès l’époque celtique, mais surtout pendant la période romaine. Les décors phalliques, plus courants en Germanie, semblent dater de la période romaine, alors que les médaillons dotés d’une ornementation géométrique correspondent aux périodes mérovingienne et carolingienne. Ces médaillons bruts, tournés et sculptés étaient portés cousus sur les vêtements ou suspendus, ce qu’on peut reconnaître au fait que le trou, par exemple sur un médaillon de Langres (les Lingons), présente une forme en goutte d’eau causée par l’usure liée au passage d’un cordon. Leur rôle protecteur est prouvé dans le sanctuaire des sources de la Seine par un médaillon qui représente une tête d’enfant et par des statues d’enfants portant sur la poitrine des petits objets ronds, dont le rapport d’échelle correspond aux dimensions du médaillon. La découverte à Besançon de médaillons dans la sépulture d’un aurige (conducteur de char de course ou de char de guerre, dans le contexte gréco-romain) confirme également leur rôle protecteur contre les maléfices ou la malchance. Ils devaient être cousus sur les vêtements du défunt. La présence du phallus stylisé sur deux d’entre eux confirme s’il était besoin que le bois de Cerf est associé à la force virile. Ils se trouvaient avec des perles, des défenses de Sangliers et des coquillages probablement reliés entre eux pour former un collier apotropaïque (appliqué à ce qui conjure le mauvais sort, vise à détourner les influences maléfiques).

Graffitis, bois de Cerfs et autres objets en rapport avec le Cerf. Les graffitis, les bois de Cerfs et autres objets en rapport avec le Cerf ont été découverts aussi dans des contextes cultuels non funéraires, comme à Entrammes (Mayenne), sur un fût de colonne du sanctuaire de Port-Salut, en même temps que des vestiges d’animaux, la plupart de Cerfs, surtout des éléments de tête. Les exemplaires de bois de Cerf découverts aux sources de la Seine associent les vertus prêtées au Cerf aux eaux vives qui rendent fécond et renouvellent la Vie. Dans le sanctuaire de Digeon (Somme), où avait lieu un culte impérial pendant le Haut-Empire, les mandibules d’une dizaine de Cerfs, déposées près de restes d’animaux domestiques témoignent de la préparation des têtes et de leur exposition cultuelle. Sur le site d’habitat de Levroux, un buste d’Ancêtre ou de personnage divin a été découvert dans une fosse du début du 1er siècle av. J.C. en compagnie d’un bois de Cerf et d’un polissoir. A Châteaumeillant, une statuette qui participe du comblement d’un puits daté des années 30-20 av. J.C. a été déposée au-dessus d’une couche d’andouillers de cervidés. Le bois de Cerf déposé en offrande dans un puits rituel semble montrer que la force de fécondation et de Vie dont il est « chargé » est propitiatoire, qu’elle favorise le passage des objets symboliques dans les mondes des dieux, la bienveillance de ceux-ci, leur acceptation du don et leur disposition à accorder en échange leurs bienfaits.

Une paire d’andouillers fut également découverte dans une fosse peu profonde lors des fouilles des thermes de Hooks Cross près de Stevenage (Hertfordshire). L’os frontal percé de deux trous carrés montre qu’ils avaient été fixés sur un support et avaient été exposés. La proximité d’un foyer suggère un rapport avec le Feu. Mais on peut se demander si la tête de Cerf représentait la divinité ou si elle avait la fonction de faciliter l’opération du sacrifice. Un graffiti a été découvert sur le site du sanctuaire d’Athée en Mayenne, dédié à Mars Mullo. Il montre un Cerf entravé enfermé dans une sorte de cage avec partie surélevée. Les auteurs l’assimilent à un fanum circulaire (petit temple gallo-romain ou britto-romain de tradition indigène, le plus souvent carré ou circulaire) avec une tour ronde contre laquelle s’appuie une galerie. Le Cerf était-il promis au sacrifice dans le sanctuaire du dieu guerrier ou incarnait-il la présence du divin?

La tombe d’un Cerf inhumé comme un être humain: au Mont Granet (Marne), il a quelque chose de sensationnel, parce que l’animal était couché sur le côté droit, la tête repliée, dans la fosse, peut-être sacrifié; interdiction de sacrifier les animaux sauvages? Le Cerf était doté d’une bride et d’un mors; il a donc été attelé. Ses andouillers ont été sciés à la base de son vivant. Ces détails écartent l’hypothèse du sacrifice et suggèrent au contraire que l’animal était sacré et qu’il a servi au culte alors qu’il vivait encore, soit qu’il fût présenté lors de cérémonies, soit que sa présence dans l’enceinte du sanctuaire ait servi à rappeler celle du divin, un peu comme la lampe rouge de nos églises.

Ces découvertes indiquent que le Cerf n’était pas un animal comme les autres, et que ce statut privilégié, lié sans aucun doute à des croyances et à des rituels, se traduisait aussi dans son inhumation. C’est le cas des quatre cerfs inhumés dans des fosses au lieu-dit La Saulsotte à Nogent-sur-Seine, qui ont assurément servi dans un sanctuaire autrement que pour y être sacrifiés, car leurs squelettes aux bois sciés sont associés à des éléments de harnachement en fer et à une céramique du deuxième siècle fixée sur une des têtes. A Créteil, un squelette de Cerf montre des traces d’usure sur la face latérale des dents, révélant qu’il avait longtemps été attaché à une longe par une embouchure. Et à Limoges, au sein de la ville antique, un squelette de Cerf aux bois sciés est associé à une mentonnière de fer. Les moignons usés indiquent qu’il avait vécu longtemps avec les bois sciés. Le respect de la dépouille et le lieu de sépulture réservé confirment que le Cerf avait une dignité qui ne peut être comparée qu’à celle du cheval dans certains cas, ou de l’être humain. Un interdit le concernant, du moins dans le contexte d’un sanctuaire, semble avoir empêché l’équarrissement des bêtes et l’enlèvement des pièces de harnais. Elles avaient été dédiées à la divinité et reprendre ce qui appartenait aux dieux était sacrilège.

Le bronze votif de Neuvy-en-Sullias, daté entre le Ier siécle av. J.C. et le Ier siècle ap. J.C., a été découvert avec d’autres objets votifs ou cultuels dans une cache. Il est admis aujourd’hui que les éléments de ce trésor forment un ensemble cultuel en provenance d’un ou plusieurs temples gaulois ou fana. Le Cerf est debout, en position d’arrêt, fièrement dressé sur ses pattes, les grands yeux ouverts, semblant écouter. Le corps puissant et massif est comme étiré. Le sexe est visible. La toison du jabot est épaisse, les bois de dix cors, peut-être amovibles. Sabots et ergots sont figurés de façon réaliste.

Le Cerf de Bilberg en Autriche a servi également d’offrande votive. Son style le classe comme une oeuvre celtique du Ier siècle av. J.C. Ses bois ont six pointes. La position des pattes de devant semble indiquer qu’il est prêt à se dresser, peut-être pour s’accoupler. Des traces de substance résineuse suggèrent aussi qu’il était muni d’une queue en crin naturel, de Cerf sans doute ou de cheval, auquel on devait accorder quelque pouvoir ou valeur symbolique. On peut donc conclure que les Cerfs étaient des hôtes habituels des enceintes sacrées et qu’ils avaient un rôle cultuel. On peut supposer que leurs bois étaient prélevés pour l’usage du culte ou pour orner les temples et les autels, ou enlevés parce que les animaux devaient pouvoir côtoyer les croyants sans devenir dangereux.