Le Cerf N° 5: la profonde symbolique chez les Celtes et les Gallo-Romains – B.

La découverte d’une fosse sacrificielle à Vietze, dans l’extrême nord-est de la Basse-Saxe prouve que l’usage de déposer des bois de Cerf dans une fosse cultuelle n’est pas exclusif aux Celtes. Située dans une dépression à proximité de l’Elbe, cette fosse est datée entre la fin de l’Âge de Fer et le début du Haut-Empire et est liée à un habitat de même époque. Une grande ramure de dix-huit pointes était placée près des parois et entourait les autres objets comme des parenthèses. Elle est associée à d’autres bois plus petits, à des tessons provenant de vases intentionnellement brisés, à des pierres et à des morceaux de meules grosses comme des têtes d’enfant, aux fragments d’un grand landier (haut chenet muni de crochets, parfois surmonté d’un panier métallique) rectangulaire en terre cuite, lui aussi intentionnellement brisé, à un foyer avec de la cendre et du sable rougi par une grande chaleur, ainsi qu’à une très grosse pierre entourée d’une couronne de blocs d’argile durcis au feu, de tessons et de petites pierres. Ce n’est pas notre objectif d’expliquer cet assemblage complexe. On peut toutefois entrevoir un rituel comprenant une succession de plusieurs actes cultuels, ainsi que le « sacrifice » des objets impliqués. Il est envisageable de considérer que le dépôt de la ramure autour des autres objets favorise la réussite du sacrifice qui est manifestement une des raisons d’être de cette « installation ». Si celui-ci suppose le passage des offrandes des hommes vers les puissances divines et en retour des bienfaits destinés aux humains, on peut considérer que les bois de Cerf sont équivalents ou complémentaires du Feu qui dans l’holocauste transforme les offrandes de façon à ce qu’elles puissent passer dans le monde divin. On retrouve là l’idée connue selon laquelle le Cerf est le passeur par excellence, propice à la traversée d’un fleuve comme au passage d’un monde à l’autre. Il est possible et même probable que l’usage cultuel des bois de Cerf pratiqué en Germanie diffère de celui des Celtes laténiens ou gallo-romains. Il semble cependant raisonnable d’admettre que leurs pratiques religieuses présentaient des ressemblances, explicables soit par la communauté d’origine « indo-européenne », soit par les échanges culturels entre voisins, soit par la reprise d’éléments à un substrat culturel préexistant, soit encore par l’action conjuguée de ces trois facteurs. Les Germains n’avaient-ils pas du sang celte dans les veines?

Le Cerf sert aussi de motif d’ornement. On a vu des ossements de Cerfs ensevelis de façon remarquable, des ramures et déposées dans des tombes, dans des fosses sacrificielles et peut-être comme leurs effigies en bronze dans des temples. Le Cerf sert aussi de motif d’ornement sur des objets de représentation. Mais les extraordinaires vases peints dits de Gandaillat (Puy-de-Dôme) qui remonte au IIe siècle av. J.C. constituent un cas particulier. Les objets les plus complets proviennent de puits et de tombes. Leur association avec des amphores, des instruments de mouture et des vases à liquide, ainsi que l’état de conservation des récipients permettent d’envisager une pratique cultuelle. Ils semblent impliqués dans des pratiques religieuses variées, à commencer par la consommation collective de boissons (vin ou bière) au sein de l’habitat, qui se conclue par le dépôt des accessoires ayant servi à leur exercice, partiellement détruits ou mutilés, dans des puits. Ils ont aussi été déposés en offrande dans des structures funéraires ou dans les fondations de bâtiments (trous de poteaux). Le dépôt dans un contexte analogue de bois de Cerf avec de nombreuses amphores vinaires et quelques outils de mouture sur le site voisin de Gondole, au Cendre (Puy-de-Dôme) ou sur le site de la caserne Roch à Rodez, confirme l’interprétation religieuse. Expression tardive de l’art laténien, les représentations de cervidés au centre de ces compositions passent d’un style naturaliste qui rappelle celui du chariot de Srettweg, à un style plus élaboré qui fait penser à la sculpture en bois de Schmiden, près de Stuttgart. Le traitement des animaux rappelle aussi le style des monnaies qui s’épanouit surtout au Ier siècle av. J.C. Les animaux montrent une cambrure exagérée, leur position est souvent contrainte. Les membres sont allongés et tordus en spirales, les oreilles et la ramure sont extrêmement développées et stylisées, certaines parties du corps sont hypertrophiées ou atrophiées. Mais ce n’est pas tout, loin de là. Sur les têtes apparaissent des appendices supplémentaires, certains exemplaires sont dotés d’une queue de cheval, une tête de Cerf fusionne avec le corps d’un oiseau échassier, la ramure s’ouvre sur des volutes entourant un triskel ou forme une sorte de filet. La préciosité et le maniérisme des formes accompagnent l’exubérance, la surcharge ornementale d’esses (S), de volutes et de rinceaux (ornement fait d’éléments végétaux disposés en enroulements successifs), de spirales qui se terminent en forme de corne, de virgules et de losanges, de signes héliaques. Tout se passe comme si l’artiste s’était employé à fondre les animaux avec les éléments végétaux (arbre ou fougère), mais aussi géométriques et symboliques comme peltes (petits boucliers en forme de croissants), yin yang, svastikas, « masques affrontés » ou « bête dévorante », connues sur les parures et la vaisselle métalliques des IVe et IIIe siècles av. J.C. Animaux, éléments végétaux ou symboliques semblent soumis au pouvoir irrésistible de croissance et de métamorphose que produirait une sorte d’ivresse dionysiaque. Les scènes animalières évoquent la parade nuptiale: « les postures des sujets présentés évoquent des animaux, mâles ou femelles, lors de la période du rut. Le Cerf apparaît dans la position de brame ou dans une posture de combat. Les biches sont dans une position d’attente, queue relevée ». Ce thème renvoie au trinox samoni (Samhain) du calendrier de Coligny qui, marquant le début de l’année gauloise, fut certainement l’occasion de démonstrations festives et religieuses. Mais cette parade nuptiale ne peut pas seulement servir à indiquer et à illustrer une date. Cet animal visiblement si fécond, dont les bois tombent et renaissent plus grands chaque année n’est-il pas aussi un symbole de fécondité et d’immortalité. C’est justement ce que représentent ces tableaux. Il faut envisager que le symbolisme de la parade nuptiale du Cerf et de la biche soit intimement lié au passage de l’année ancienne à l’année nouvelle, c’est-à-dire au renouvellement du temps et de l’Univers qui doit se faire par et pour la profusion et l’abondance. Tout porte à croire que l’agent, le créateur de ce renouvellement est le dieu Cerf avec lequel ces représentations peintes sont très probablement identifiables.

Situles et autres objets. D’autres objets font apparaître les cervidés dans un ensemble narratif qui trahit une inspiration mythologique et religieuse. C’est tout d’abord le cas des situles de bronze produites dans les Alpes orientales entre le VIIe et le IVe siècles av. J.C.: chez les Vénètes de l’Adriatique, les Illyriens, les Celtes et les Etrusques. Si la part celtique ne peut pas être exactement délimitée, on peut admettre que tous ces peuples puisaient dans un fond commun qui forme l’arrière-plan symbolique des scènes illustrées dont on peut penser qu’elles sont liées à l’usage des services à boire et aux circonstances dans lesquelles elles étaient utilisées par les élites. Le décor de la situle de Sesto Calende près de Varèse, datée de la fin du VIIe siècle av. J.C. est composé de deux registres figuratifs exécutés en pointillés qui rappellent le décor de la litière du prince de Hochdorf. Le registre supérieur représente des oiseaux à becs assez longs et courbés qui sont tournés vers la droite. Il est encadré par deux frises de boutons ou symboles stellaires. L’encadrement des oiseaux par des cercles pointés laisse penser qu’ils représentent le ciel et la dimension divine. Le registre inférieur correspond donc probablement au domaine terrestre. Il représente un Cerf, une biche et son faon, tournés vers la droite, deux hommes tournés l’un vers l’autre, peut-être en train de lutter, puis juste devant eux un oiseau placé verticalement, comme pour montrer que cette lutte conduit à une intervention divine (ordalie?) ou qu’elle honore les dieux. On trouve ensuite un cavalier, puis une scène représentant les préparatifs d’un sacrifice: un Cerf est entouré par deux hommes. L’homme qui se trouve derrière lui le pousse en le maintenant peut-être par la queue, celui qui est devant tient un bois de Cerf. Devant eux, tout à droite, un autre homme lève une hache. On peut rapprocher le geste de l’homme qui touche la ramure du Cerf de celui qui est représenté sur le char de Strettweg. Nous y reviendrons plus avant. S’il n’est pas question de nier l’influence étrusque, l’existence d’échanges culturels de part et d’autre des Alpes est confirmée par la découverte d’inscriptions en langue celtique du deuxième quart du VIe siècle av. J.C. dans l’aire de la culture de Golasecca en Lombardie et dans le Piémont. La fonction de cet attouchement est sans doute de transférer à l’homme, prêtre (druide) ou prince, le pouvoir de l’animal sur le point d’être sacrifié. La consommation de la viande du sacrifice est attestée par des haches, des broches et des chenets de fer. Elle distingue le banquet de l’aristocratie nord-alpine de celui des Etrusques et des Grecs, mais semble correspondre à l’usage des Grecs de l »époque mycénienne (la civilisation Mycénienne est une civilisation égéenne de l’Helladique récent, s’étendant de 1650 à 1100 av. J.C.).

La plaque de ceinture en tôle de bronze de Molnik en Slovénie montre une chasse qui est aussi un sacrifice. A moins que la